Pourquoi tant de haine ? Pourquoi toutes ses initiatives sont-elles raillées ? L’homme est aimable et ses combats généralement les bons alors pourquoi ?

Ces questions, on ne peut pas ne pas les poser à Bernard-Henri Lévy. Lui-même se les pose après l’échec de son film, son « bide bang » comme il dit. Que faire après un tel échec ? C’est tout le sujet de Comédie. Tout arrêter ? Revenir à la philosophie ? S’expliquer ? Baisser le masque.

Cela commence fort. Genre macho-toxico. Page 10 : « Je devine son ventre rond, sa culotte de dentelle blanche, la façon qu’elle doit avoir de se refuser, ou d’acquiescer, ou peut-être les deux à la fois : je devine ses audaces, ses pudeurs son odeur de femme fraîchement baisée. » Page 13 : « le vert paradis des amphétamines », les taxis qui convoient de mystérieux demi-comprimes de Sollers à Lévy et retour. Loin du nouveau philosophe gravure de mode !

Au passage – parce qu’il ne peut pas ne pas le défendre son film – quelques attaques excessives contre la pétition des cinéastes ou le « crime » de Berlin. Mais surtout d’autres critiques, moins injustes qu’il n’y paraît. « Je me dis que la “nouvelle philosophie”, il y a vingt ans, n’avait pas que du mauvais ! Bon. On allait vite, d’accord. On cognait dans tous les sens. […] Mais enfin, je compare. Je mets d’un côté les petites vertus des moustachus […] et je mets, de l’autre, nos imprudences, notre goût du scandale c’est-à-dire de la vérité. »

La mise en cause du mensonge communiste du goulag, la recherche des adhérences vichystes dans notre histoire, les « nouveaux philosophes » de BHL ont plus fait vivre le débat que les nouveaux mandarins, de la philosophie qui font carrière en passant par la case cabinet ministériel. Petite parenthèse : pourquoi, quand il polémique, BHL s’abaisse-t-il à s’en prendre à l’apparence de ses adversaires ? Là les moustaches d’André Comte-Sponville, avant, dans Le Point, les allures de « garçon-coiffeur » de Fabrice Lucchini, Et pour quoi cette attaque contre les bégaiements de Modiano ?

La question n’est pas là. Est-elle : faut-il baisser la garde ? « Peut-être que ça me plairait, moi aussi, de casser le carcan, de tordre le cou à mes pudeurs […]. Si j’essayais après tout ? Si je me décidais davantage d’”abattre mon jeu ?” » Il le fait, un peu, à regret. Et il n’a pas tort. « On nous dit : “nous sommes dans l’ère du vide – l’époque n’aime, et ne célèbre que le clinquant […].” Erreur ! Elle ne célèbre que les Purs, les Parfaits… » La pureté c’est vrai, peut être dangereuse.

Alors quel livre ? BHL poursuit sa quête des livres à écrire. Contre Sainte-Beuve, après Proust, Debord, une heure avant son suicide qu’il n’écrira pas. Avec des moments brillants : le dialogue des « moi », que l’on suit comme une pièce de Philippe Caubère, qui s’élève dans la critique de « BHL » par « L » jusqu’à Cyrano. Et d’autres éblouissants : la « tentation Ajar » qui le saisit quand revisitant le trouble de Romain Gary, il s’imagine entrer en pseudonymie pour fuir la haine. Ne serait-ce que pour ces pages, quelque chose de Comédie restera.

Mais alors pourquoi cette haine ? Tentons une analyse. Et si nous détestions ce qui nous ressemble trop ? Et si la marionnette BHL des Guignols de Canal+ n’était après tout que le concentré de cette époque médiatique où le faire-savoir précède le savoir-faire ? Comme si nous faisions d’un représentant de ce système le coupable de notre voyeurisme.

Lévy ne mérite pas ça ou alors interrogeons-nous – sérieusement – pourquoi lui et pas un autre ?

Journaliste, philosophe, éditeur, romancier, cinéaste, Bernard-Henri Lévy a touché a tout, Et pas seulement aux médias. Mais la seule question qui se pose et qu’il doit se poser est celle-ci : est-il un écrivain ? « Qu’est-ce qu’un livre se demande-t-il ? Et quand sait-on qu’on le tient au bout de la langue et de la plume ? Un rythme. Une cadence. Parfois, les écrivains se figurent qu’il faut, pour se mettre à écrire, un sujet, un projet, une veine inexploitée, une expérience brûlante, un fait divers. Je crois, moi, qu’il suffit d’un rythme. D’un souffle… »

Le rythme y est dans Comédie, livre-journal d’un jongleur, le souffle aussi, celui de l’avocat du « je ». Mais cela suffit-il ? Le souffle-l’âme doit s’incarner. Et BHL reste ici trop enfermé dans la plaie de la littérature française d’aujourd’hui, l’autoanalyse, le livre du livre en train de se faire. Il a, et plus encore après la brûlure de l’échec, la force d’aller plus loin.


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