C’est donc à Tanger, là où tant d’artistes se sont échoués, que Bernard-Henri Lévy est allé panser ses plaies, se ressourcer et écrire cet étonnant livre qui, une fois encore, agite le Landerneau. Un « bide-bang », voilà comment il qualifié l’échec douloureux de son film Le Jour et la Nuit.
De jour, il n’y eut point. Ce fut une nuit impitoyable où la critique se relaya pour sonner l’hallali. Tout se déroula comme si le dieu Média avait décidé de dévorer son fils le plus prodigue sur l’autel de la société du spectacle. Du film, il ne fut que très peu question, En somme, on reprochait à son auteur d’avoir trop occupé les colonnes des journaux. Bref, la curée fut telle qu’on se demanda un instant si BHL ne s’était pas tout bonnement changé en une sorte de Don Corleone imposant sa loi aux patrons de presse métamorphosés en factotums serviles et corrompus. Passons. On entend ici et là que Comédie serait une manière de règlement de comptes. Un artiste, même blessé à mort, sait qu’il ne règle jamais de comptes qu’avec lui-même. Et c’est précisément ce qu’entreprend BHL. Dans sa retraite, il avoue d’ailleurs n’être porté ni par la vengeance ni par le ressentiment. « Écrirai-je qu’une part de moi a aimé ce sort qui m’était fait ? » explique-t-il comme en se jouant. Ceux qui ne l’apprécient guère boiront du petit-lait quand il reconnaît être son pire ennemi, détestant la marionnette qu’il est devenu, « ce cabot, ce robot cet imprécateur pantinisé par les télés emmagaziné dans la presse people. Ce philosophe sur papier glacé dont je ne ferais a aucun prix mon ami… » Comédie ? Surtout ne pas se fier au titre. Certes, on rit souvent, mais l’ensemble est grave, parfois pathétique. Pour la première fois, BHL met son cœur à nu. Comme si, désespéré par un ultime malentendu, lui, l’insatiable bretteur, l’impénitent guerrier, avait décidé de dire adieu aux armes et de méditer, à l’image de son cher Baudelaire « accoudé sur le môle, en ce séjour charmant pour une âme fatiguée des luttes de la vie ». Car BHL n’a que trop bien vérifié à ses dépens que « la paresse était la catégorie fondamentale de l’époque. Une fois qu’elle a enregistré une image, elle n’en veut surtout pas démordre ».
Pourtant, est-il médiocre l’écrivain qui a tracé sans doute le plus brillant portrait de l’auteur des Fleurs du mal ?
Est-il roué l’homme qui, des goulags de Sibérie aux charniers de Bosnie, a combattu inlassablement toutes les barbaries à visage humain ? L’Histoire jugera, En attendant, BHL s’adonne à un fascinant exercice d’introspection et à un début d’autobiographie riche de promesses. Puisque « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil », Bernard-Henri Lévy, en guise de livre-vérité, vient peut-être de signer, avec Comédie, le plus abouti de ses romans.
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