Mon titre, oui, il le comprendra, référence bien sûr à Gaspard de la nuit, d’Aloysius Bertrand, Baudelaire l’aurait copié pour ses poèmes en prose. Je le relis et je n’y comprends pas grand-chose, me demandant encore, comment j’ai pu m’extasier à 16 ans sur cette suite de phrases dissonantes et alambiquées. À l’inverse, le dernier livre de BHL, Nuit blanche nous délivre les clefs des songes éveillés, et bien lisibles du grand philosophe qui, pour le temps de cette rêverie de l’insomniaque solitaire, nous transporte dans son monde, celui d’hier, d’aujourd’hui et de demain, tout cela en une nuit seulement.
Voûte d’un ciel sans étoiles… Les ténèbres de BHL sont cependant pleines de constellations. Retour sur ses combats, pages puissantes et détonantes sur sa rencontre avec un autre insomniaque : Benyamin Netanyahou, on ne s’y attendait pas et pourtant… C’est à Jérusalem, dans ses bureaux vides de Givat Ram, ou se déroule cette conversation surréaliste. Comme à son habitude, BHL, essaye en vain de convaincre, de l’entraîner sur son chemin de l’espérance, et l’exhorte à virer ses deux ministres d’extrême droite ajoutant que « même Jabotinsky, apôtre de la force juive, pensait que jamais Israël ne survivrait sans des alliances solides car gagées sur une image glorieuse d’Israël ». Bibi botte en touche, et l’entraine ailleurs. Faisant l’apologie de son pacemaker (sic) car avec lui il se sent protégé par cette invention israélienne, il conclut : « Le produit est si bon que mon cœur, après ma mort, depuis le tombeau battra encore. » Stupeur de BHL : « L’image de cet organe continuant de résonner jusqu’à la fin des temps, dans la maison des fils d’Israël, m’a littéralement terrifié ! » Et… Moi qui suis hypersomniaque, qui ai besoin de neuf heures de sommeil, je lis hallucinée les douleurs et pensées enfiévrées de BHL.
J’en rêve même, il surgit d’une pièce de l’ancien appartement cossu des de mes parents boulevard Raspail, tout habillé, il veut parler, me raconter, je tombe de sommeil et l’exhorte à aller se coucher (je n’oserai jamais dans la vraie vie).
Mater dolorosa, me voilà transformée en une mère protectrice. Nature berce le chaudement… Ces pages me brisent le cœur, il faut le dire. Je suis le chimiste de moi-même, dit-il dans ce récit drolatique qui a des allures de tragi-comédie. Me revient en mémoire cette soirée d’automne, peu avant la fin de son livre sur Baudelaire, notre passion commune comme d’autres, Albert Cohen, Lautréamont, Israël, Balzac quoiqu’il soit à mes yeux plus stendhalien. Clarté italienne et solaire qu’il dégage, éternel Fabrice Del Dongo… Revenons à nos moutons qui ne le font pas dormir, même s’il les invoque dans ces pages. Et maintenant à la lueur de ce récit Nuit blanche, je vois ses cernes et sa mauvaise mine… depuis combien de temps n’avait-il pas dormi ce jour-là ?
En tous les cas, ici dans son livre, trois nuits se sont écoulées, luttant jusqu’à l’extrême et refusant son somnifère miracle, le Stilnox. Puis il y a des pages d’énumération de tous les autres médicaments qu’il a testés, la liste en semble infinie comme les effets. Et Sur la maison des morts, mon ombre passe, cet oiseau de nuit convoque alors ses fantômes, pour essayer de trouver le sommeil. Ceux qu’il a aimés, chair de livres et chair de sang, tout y est, nos amis communs, Sollers. Il dit qu’il a du mal à parler de lui au passé. Closerie, œuf mayo, j’ajouterai bloody mary, fume cigare, phrases courtes, elliptiques, l’absence de Philippe me mord le cœur… Il m’offre un jour la correspondance entre Simone de Beauvoir et
Nelson Algren. L’autre visage se dessine plusieurs fois, il est peut-être le centre du livre. C’est celui de Benny Lévy, il évoque son passé de grand dirigeant quand il se faisait appeler Pierre Victor, fondateur de la Gauche prolétarienne, la GP, comme dit son adorable fille Rachel, que j’aime tant, il faudrait lui envoyer le livre à Jérusalem. Ville que Benny Lévy aura choisie comme ultime demeure, où il devient une sorte de prophète. Il initie au Talmud Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut dont il écrit « ébloui de tout, enfantin, réactionnaire de charme, et sauf quand il embouchait les trompettes du désastre, assez gai. »
Et puis il y a son père, confidences familiales, où il se raconte un rien personnel, émouvant. On n’a pas l’habitude, car sous sa plume tout est tellement héroïque. Toujours ! Voilà le jeune Bernard fringant et dépensier. Enfin la pythie salvatrice dont l’œil garde tant de sommeil sous un voile de flamme, ponctue Nuit blanche. Éternelle compagne, elle aura essayé tous les remèdes mais rien n’y fait. Il est 21H30, l’air ouvre et referme mon livre, envolez-vous pages qui m’ont tant éblouie, incroyable prose tissée comme un jour sans fin.
Il faut vivre sa vie, nous dit BHL et si possible toutes les autres. Florilège de tous les insomniaques du temps, Nuit blanche est une sorte de réparation, à son monde, il l’écrit, l’explique, un Tikoun Olam où se referme la toile de la nuit.
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