On ignore encore, pour ne l’avoir point vu, les mérites intrinsèques de Bosna !, documentaire de Bernard-Henri Lévy. En revanche, on sait déjà ce que sa présentation à Cannes a déclenché dans l’esprit des télévisions.
Soudain, à cause de ce film engagé, une disjonction s’est opérée. Pour les télés, gravement, Cannes n’était plus ce qu’elles en savaient, ce qu’elles en avaient fait aussi, depuis qu’elles le couvrent – ou plutôt le couvent jusqu’à l’étouffer. A cause de cet intellectuel de BHL, le Festival ne pouvait plus passer comme à l’ordinaire, pour le signifiant culturel des télévisions, leur signe extérieur de richesse, leur frivolité de fin de journal quand des stars, tout à la fois onéreuses et parcimonieuses, viennent répondre à deux ou trois questions. Brusquement, du fait de la projection de Bosna !, Cannes devenait également un lieu de débat politique, le carrefour d’une polémique en prise directe avec l’actualité. Osons même le mot : Cannes, cette aimable distraction, cette fête du futile, concurrençait sérieusement Paris sur le plan journalistique.
Envolés les paillettes, les décolletés des stars, leurs froissements de taffetas à la montée des marches. En un tour de manivelle, BHL avait rendu cela incongru. Pouvait-on mélanger les cadavres bosniaques avec les rituels reportages goguenards sur l’ambiance de la croisette, la purification ethnique avec la foule des badauds qui quémandent un autographe, André Glucksmann et Béatrice Dalle, la corvée d’eau à Sarajevo et la promotion des films à l’ombre du Carlton battant pavillon TF1 ou du Martinez, QG de Canal+ ? Non. A la réflexion, mieux valait dissocier.
Alors, dans les rédactions, on fit remonter Bosna ! d’un cran dans l’agencement des nouvelles. Mais de mauvaise grâce, et comme un signe de mauvaise santé : décidément, il fallait que le monde se porte bien mal pour qu’un truc aussi rafraîchissant, aussi glamour que le Festival de Cannes se retrouve coincé entre des choses aussi tristes et moches que les européennes ou le Rwanda.
Si donc Une pure formalité, le film de Guiseppe Tornatore, demeura en fin de JT, celui de BHL, en revanche, se situa quelque part entre la politique intérieure et la politique étrangère. Alain Bévérini n’en parla pas : ce n’était pas pour lui. Ce n’était pas son cinéma, celui dont on peut bavarder à l’ombre d’un parasol devant un cocktail coloré. Ce n’était pas « son » Cannes, hors-monde frivole où la télé aime à plonger une tête pour se laver du réel.
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