La création de SOS Racisme
Lorsque Harlem Désir et Eric Gehbali sont allés trouver Bernard-Henri Lévy au Twickenham, un bar aujourd’hui disparu qui faisait, en face de Grasset, l’angle de la rue des Saints-Pères et de la rue de Grenelle, pour l’associer au mouvement qu’ils allaient lancer, ils avaient déjà en tête cette double intuition qui allait fonder SOS Racisme. L’intuition tout d’abord que la jeunesse ne se dépolitise pas mais qu’il faut savoir l’enrôler par de nouveaux langages comme l’humour ou la musique. L’intuition ensuite que le racisme redevient, après quarante ans d’une relative atonie sinon de bannissement, un sujet majeur en France, comme le montrent alors la recrudescence des crimes racistes ainsi que la percée électorale du Front National qui, en juin 1984, dépassait pour la première fois la barre des 10% de voix dans une élection nationale. Ces intuitions, l’auteur déjà célèbre de La Barbarie à visage humain et de L’Idéologie française les partage et les exprime déjà. La cause est rapidement entendue.
SOS Racisme, avant même que d’exister, venait de trouver l’un de ses tout premiers et plus importants soutiens. Co-organisateur de la fameuse conférence de presse de lancement de l’association au Lutétia le 19 février 1985, Bernard-Henri Lévy est partout où on le réclame et il vrai qu’on le réclame partout.
Que l’on en juge : le 21 février il est à la Mutualité pour le meeting fondateur : « Je ne suis pas raciste mais… » ; le 7 mars il tient une conférence de presse, avec Harlem Désir, au Havre après un crime raciste ; le 28 mars il intervient encore à l’université d’Assas devant 2.000 personnes alors que celle-ci est réputée être un fief de l’extrême droite…
C’est l’époque où il défile sous le slogan resté dans les mémoires : « Un juif à Paris, un arabe à Menton : c’est toujours nos potes qu’on assassine ».
Dans ce contexte, Bernard-Henri Lévy permet aussi au mouvement balbutiant de définir sa doctrine face à la recrudescence de la violence raciste comme en témoigne la tribune cosignée dans Le Monde du 27 mars 1985 et intitulée « Le verbe qui tue » : « un crime raciste, quoiqu’on en dise, n’est jamais un phénomène parfaitement dément ni délirant […], il s’ordonne à un air du temps, à un imaginaire commun de la société où il puise son assurance, sa légitimité, sa raison d’être ».
Il est usuel de dire qu’avec Coluche, Simone Signoret, Guy Bedos, Jean-Jacques Goldman et combien d’autres, « tout le monde » faisait partie de SOS Racisme. La présence de BHL parmi ces personnalités est pourtant doublement singulière. D’abord par son antériorité, je viens de le dire et ensuite par sa fidélité.
L’antiracisme : un combat perpétuel
Loin de nous séparer, les années nous ont rapprochés pour faire face aux mauvais procès – et il y a en a eu ! – comme aux nouveaux combats qui ont fait jour – et ils n’ont pas manqué non plus. Ainsi Bernard a toujours été à nos côtés pour démentir la suspicion totalement inventée et fantasmée de différentialisme dont on nous a si souvent accusés.
Plus largement, à chaque dîner de soutien, à chaque manifestation, en France comme à l’étranger, nous avons pu compter sur Bernard-Henri Lévy. Qu’il s’agisse des luttes pour empêcher la remise en cause du droit du sol (1993) ou pour contester l’avènement du populiste d’extrême droite Haider en Autriche (1999), il a toujours répondu présent.
Surtout, c’est ensemble que nous avons mené (et emporté) le débat sur la clarification de l’antiracisme au tournant des années 2000 lorsque certains voulaient « justifier » ou « excuser » l’antisémitisme par le racisme dont certains jeunes pouvaient être les victimes par ailleurs.
C’est également ensemble que nous avons affronté les nouveaux bouffons de la haine antijuive que sont les Dieudonné et autre Tribu K (aujourd’hui dissoute).
Le 1er mai 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, c’est naturellement parmi le cortège de SOS et entouré de milliers de petites mains jaunes « Touche pas à mon pote » que BHL a défilé.
Dans les années suivantes, c’est avec Bernard-Henri Lévy que je ferai un voyage au Tchad, dans les camps de déplacés ayant fui la barbarie que le pouvoir de Khartoum faisait déferler sur les populations noires du Darfour.
Les dernières années n’ont pas démenti cette proximité avec le soutien en commun à Ayaan Hirsi Ali, que des prises de position empruntes de féminisme et de laïcité avaient honteusement isolée, ou à Charlie Hebdo dans le procès des caricatures, sans oublier le témoignage précieux qu’il apporta au procès à la Cour d’Assises de Lyon du meurtrier de Chaïb Zehaf. Au centre de cette période récente, ces mobilisations communes ont eu pour point d’orgue la co-conception de la pétition « Touche pas à mon ADN » et du meeting-concert au Zénith à l’automne 2007 pour lutter contre l’introduction des tests ADN pour les candidats au regroupement familial.
Ce récit en est la preuve : évoquer SOS Racisme, c’est évoquer Bernard-Henri Lévy et j’aime croire, tant nos histoires sont liées, que la réciproque est, elle aussi, un petit peu devenue vraie et qu’évoquer Bernard-Henri Lévy, c’est donc évoquer SOS Racisme.
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