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Martin Heidegger

Par Liliane Lazar

Peut-on être à la fois un grand philosophe et un salaud ? BHL s’est posé la question dans le cas de Martin Heidegger.

Martin Heidegger ©Rue des Archives/SPPS

Martin Heidegger et Bernard-Henri Lévy

Peut-on être à la fois un grand écrivain – ou un grand philosophe – et un salaud ? Cette question, Bernard-Henri Lévy se l’est posée un nombre incalculable de fois, la concentrant pour la littérature sur Céline, pour la philosophie sur Heidegger. Car, enfin, les faits sont là : non seulement Heidegger s’inscrivit au NSDAP, mais il montra une grande conviction, sinon une grande complaisance, à chanter les louanges du national-socialisme, mieux : à le penser, y compris après s’être démis de son poste de recteur. D’autre part, contrairement à ce qui est communément admis, Heidegger, qui se contenta de donner sur la Shoah un point de vue industriel et technique, fut un antisémite dur. À la question posée plus haut s’ajoutent, pour BHL, deux autres plus dérangeantes encore : le fait qu’Heidegger ait été nazi doit-il dispenser de le lire ? Et comment est-il possible que les plus grands intellectuels du XXe siècle – de Sartre à Foucault, de Lacan à Derrida, de Barthes à Althusser, d’Hannah Arendt à Levinas –, bref que « tout un âge de la pensée » ait « accepté de reconnaître comme son maître un homme qui [avait] embrassé l’idéologie la plus criminelle du XXe siècle ? » (dans Le Siècle de Sartre).

Bernard-Henri Lévy à propos de Martin Heidegger

« 6 septembre 1995. Réédition, chez Gallimard, des Écrits politiques de Heidegger. Son national-socialisme. Ses allocutions laborieuses et indignes. Mais aussi le caractère très impressionnant – et, au fond, presque inhumain – de son refus de s’expliquer. “Je ne m’abaisse pas à parler aux gens. Il m’arrive de penser devant eux.” Le mot est, je crois, d’Aragon. Mais il conviendrait à cet Heidegger-là. Et aussi, au-delà de lui, à tous ceux – philosophes, artistes, écrivains – qui dédaignent la dialectique de la confession et de l’aveu. Deux familles d’esprit ? Deux types de sensibilité ? »

Questions de principe VII : Mémoire vive, Le Livre de Poche, 2001.

« 29 mars 1997. Un jeune cinéaste – par ailleurs très impliqué dans les manifestations contre le Front national – explique que Heidegger était un “fasciste” et que le lire est donc “suspect”. Que réclame-t-il, au fond ? Le droit de ne pas lire. Celui de ne pas savoir. Une démocratie conçue non plus comme un accès aux livres, mais comme prime à l’ignorance. »

Questions de principe VII : Mémoire vive, Le Livre de Poche, 2001.

« Heidegger présente l’originalité d’être, dans les mêmes textes, sur le même ton et, au fond, avec les mêmes mots, un génial philosophe et un nazi : ses propos nazis ne se trouvent pas dans des textes de circonstance, écrits à cet effet, et à côté desquels grandirait, sur un rythme plus serein, dans l’éther de la pure pensée, “sa vraie” œuvre de philosophe – c’est dans cette œuvre même, au cœur de ses textes les plus admirables, mêlés au meilleur, au plus noble, au plus fécond et au plus apparemment désintéressé de son travail conceptuel que surgissent ses allégeances à Hitler, ses commentaires engagés sur l’actualité de la guerre et de la construction du national-socialisme en Allemagne, bref l’infamie. Pas de rupture de ton. Pas de ruptures de pensée. Mais un mélange étonnant, unique, dans la plupart des grands textes (sauf, peut-être, les écrits sur Trakl et sur Rilke, et le Qu’est-ce qu’une chose ? de 1935), de la pensée la plus exigeante et des passages à l’acte les plus infects : et cela, j’y insiste, au détour d’une page ou d’une déduction, sans crier gare, et sans que le passage à l’acte, du coup, altère véritablement la qualité de l’analyse où il est, pour ainsi dire, enchâssé. »

Le Siècle de Sartre, Grasset, 2000.


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