François-René de Chateaubriand et Bernard-Henri Lévy
Roland Barthes admirait, chez le jeune Bernard-Henri Lévy, « une manière d’écrire, de mesurer, de placer les antithèses, d’intervenir dans le texte, où il y a du Rousseau et même du Chateaubriand ». Il lui écrivit : « A des idées importantes – que l’on situera, à coup sûr, dans le champ de la politique – vous donnez, chose rare, le grain d’une écriture ». Comment mieux dire la double ambition que Chateaubriand transmit, entre autres, à Bernard-Henri Lévy ? Double ambition que pointa également un Mauriac :
Chateaubriand et Lamartine, Benjamin Constant et Victor Hugo, pour ne nommer que les plus illustres, ont-ils perdu ou gagné à ne pas se désintéresser de leur nation et de son histoire. […] Aujourd’hui, l’une des œuvres les plus hautes, celle de Malraux, est née de l’engagement d’un jeune être dans ce combat spirituel et sanglant qui oppose à la fois le corps et l’esprit. Certes, une œuvre comme la sienne transforme la politique ; il n’empêche que la politique pénètre la condition humaine, au point que c’est se condamner au néant, et singulièrement pour un romancier, que de prétendre l’ignorer.
Est-ce un hasard si l’on trouve réunies ici, sous la plume de Mauriac, deux des figures tutélaires de Bernard-Henri Lévy, Chateaubriand et Malraux ?
Bernard-Henri Lévy à propos de François-René de Chateaubriand
« Dimanche 3 avril. Céline ou Chateaubriand ? Dîner avec Charlie Rose et Arianna Huffington. Admettons, leur dis-je, que j’aie joué ce rôle [le rôle du juif fauteur de guerre tel que le dénonçaient les pamphlets de Céline. NDLR]. Admettons que j’aie, en effet, pesé pour aider à décider de cette guerre [de Lybie. NDLR]. Il y a un précédent d’un écrivain français déclenchant une guerre. Un seul. C’est un précédent énorme, évidemment. Et il n’est pas question de comparer. Mais l’intéressant est qu’il n’a rien à voir, ce cas, avec les idioties antisémites qui dégoulinent en France et aussi, il faut bien le dire, aux États-Unis. Ce précédent, c’est celui de Chateaubriand devenant ministre des Affaires étrangères pour déclencher la guerre d’Espagne, l’autre, la sienne, celle de 1823 et du rétablissement de Ferdinand VII sur son trône. Qu’il n’y ait pas de quoi se vanter (rendre son trône à un “petit-fils de Saint Louis” n’est pas la préfiguration rêvée pour le droit d’ingérence) est une chose. Et que les motivations de Chateaubriand (sauver les monarchies européennes, écraser le spectre de la Révolution et, au passage, gagner au finish son bras de fer avec Napoléon) ne soient pas très sympathiques, c’est évident. Mais le fait est là. Il l’a voulue, cette guerre, depuis le congrès de Vérone. Il l’a pensée comme l’une de ses œuvres. Et quand Villèle, qui est un peu le Juppé de l’époque, découvre le pot aux roses, quand il s’aperçoit que son ministre se fiche du problème de “conversion des rentes” (l’équivalent, pour l’époque, de notre problème de “dette souveraine”) sur lequel son gouvernement risque d’être mis en minorité et pour lequel il a besoin de la solidarité de tous ses ministres, il est trop tard, la guerre est finie, et celui que Maurras appellera “l’oiseau rapace et solitaire, amateur de charniers” a augmenté les Mémoires d’outre-tombe de quelques-unes de leurs meilleures pages. »
La Guerre sans l’aimer. Journal d’un écrivain au cœur du printemps libyen, Grasset, 2011, pp. 166-167.
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