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Jean Genet

Par Liliane Lazar

Si BHL s’est opposé aux positions de Genet sur le terrorisme palestinien, il s’est néanmoins intéressé à la vie de l’écrivain à Tanger.

Portrait en noir et blanc de Jean Genet.
Portrait de Jean Genet. ©Ozkok-Sipa

Jean Genet et Bernard-Henri Lévy

On ne s’étonnera pas que Bernard-Henri Lévy ait fustigé, notamment dans la série télévisée Les Aventures de la liberté, l’apôtre de la violence que fut Jean Genet, notamment quand il célébra, en 1972, après l’attentat de Munich, l’avènement du terrorisme palestinien, la violence étant, pour lui comme pour Sartre, la seule arme dont les Palestiniens disposaient alors. En 1977, dans son article « La Violence et la brutalité », Genet écrivait : « Nous devons à Andreas Baader, à Ulrike Meinhof, à Holger Meins, à la RFA en général, de nous avoir fait comprendre, non seulement par des mots, mais par leurs actions, hors de prison et dans les prisons, que la violence seule peut achever la brutalité des hommes. » Bernard-Henri Lévy ne pouvait admettre aucun des mots de ce credo funèbre. Mais il est écrivain, il est même l’un de ces écrivains qui, au-delà de la dénonciation intellectuelle, restent sensibles au romanesque de la vie des hommes en général, et des intellectuels en particulier. C’est ainsi qu’à Tanger, il convoqua le fantôme de Jean Genet, comme il convoqua ceux de William Burroughs, Bryan Gysin, Tennessee Williams, Truman Capote, Romain Gary, s’interrogeant sur cette « sainteté » tant recherchée par l’auteur du Bagne, aussi bien que sur le mystère de sa dernière demeure, cette tombe du cimetière de Larache face à la mer.

Bernard-Henri Lévy à propos de Jean Genet

Le beau livre d’Hadrien Laroche, au Seuil, sur le Dernier Genet, (« dernier » étant à entendre au double sens d’« ultime » et d’« infâme »). Les textes de ce dernier Genet. Le fait qu’il les édite en arabe, dans des revues palestiniennes. Je vois deux autres cas de grands intellectuels qui ont choisi, comme lui, de publier hors de leur langue. Foucault donnant, en Italie ses fameux écrits « iraniens », Gary dont il a fallu attendre l’automne dernier pour découvrir, chez Calmann-Lévy, la traduction française de l’Ode au général de Gaulle. Peut-être aussi certains textes d’Althusser. Que fait-on quand on se conduit ainsi ? que fuit-on ? quel risque conjuré – quelle alliance nouvelle, ou renversée ? […] Le dernier Genet. Cette tache dans l’histoire de sa vie. Cette zone d’ombre. C’est ce que l’on préfère dans la vie d’un écrivain. Ces moments dont on ignore tout et dont on ne sait ce qu’il faut conclure : s’il a trop vécu, ou plus du tout si le peu de traces laissées tient à l’extinction du moteur biographique ou au fait qu’il s’est mis à tourner, soudain, à plein régime.

Article daté du 28 juin 1997, repris dans Question de principe VII : Mémoire vive, pp. 231-232.

Monstruosité encore, mais « éblouissante » celle-là, et opérant comme une lumière pour tous ceux qui, nous dit Bernard Sichère (dans son livre Le Dieu des écrivains), y reconnaissent leur propre « monstruosité silencieuse » : Proust, Bataille, Genet, Jouhandeau ces quatre écrivains que leur quête de « sainteté » n’a jamais écarté […] de l’autre sacro-saint principe dont la formule demeure « ne pas céder sur son désir ».

Article daté du 21 mai 1999, repris dans Question de principe VII : Mémoire vive, p.433.

Genet à Tanger ? Au Maroc ? Genet était un sans-domicile fixe. Un typique « sans feu ni lieu », dont le non-lieu était la religion. Alors Tanger… Va pour Tanger ! Mais comme un de ces non-lieux. Un de ces points de passage parmi d’autres. Sûrement pas, en tout cas, un ancrage tardif, un port d’attache, un lieu élu. Sûrement pas le côté : j’ai trop bougé, je suis las de ce vagabondage infini, je choisis donc Tanger, je me fixe à Tanger à la façon, par exemple, de Paul Bowles.

« Un tombeau pour Genet », dans Questions de principe XI : Pièces d’identité, p. 481.

Bryan Gysin, à Tanger : « il y a trois Genet ; les gens connaissent le Genet voleur, et Genet le génie mais ils ignorent le troisième, Genet le secret ». Et si c’était le Genet de Tanger ? Et si Genet à Tanger, était l’objet du plus grand mystère ? Lui qui, à Paris, vivait dans des meublés, ou des hôtels de fortune, descend, à Tanger, au Minzah. Pourquoi ? Choukri la source décidément la plus fiable, au fond la seule, sur ce Genet tangérois rapporte ce propos : « Parce que je suis un sale chien ; je descends au Minzah ou au Hilton parce que j’aime voir ces élégants servir un sale chien comme moi… »

Idem, p. 483.

La seule vraie adresse de Genet à Tanger : le cimetière chrétien de Larache, coincé entre un bordel et la vieille prison espagnole où il côtoie, pour la dernière fois mais à jamais, un peuple de voyous, maquereaux, trafiquants de kif, passeurs divers et variés, artistes du couteau. Là, un matin d’avril 1986, l’arrivée du cercueil enveloppé dans un sac de jute sur lequel on a inscrit, comme pour les sans-papiers qu’on rapatrie au Maroc pour qu’ils y soient enterrés, « travailleur immigré » ; et puis, au milieu des sépultures de soldats espagnols, une tombe blanche, très simple, sans croix ni symbole, au bord du précipice, face à la mer. Deux thèses s’affrontent à Tanger. Celle d’une « dernière volonté » de Genet. Celle rapportée encore par Choukri de El Katrani, l’ami auquel il avait offert, avant de mourir, une petite maison à Larache : je veux être enterré n’importe où, sauf à Larache. Je préfère, évidemment, la seconde. Car comment mieux dire la suprême intelligence de l’art ?

Idem, p. 484.


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