Heureux de voir que les Français prennent enfin conscience de l’enjeu. Sauver des vies, bien sûr. Mais pas au prix d’un chômage croissant. D’une misère grandissante. D’une explosion des violences domestiques. La solidarité, bien sûr, mais pas si elle est le revers d’un égoïsme de fer et d’un chacun pour soi généralisé. Ni, encore moins, d’un ordre sanitaire décidant souverainement de nos errances, de nos amours, de nos aventures et réduisant nos vies et, somme toute, nos survies à une vérité médicale elle-même dissoute dans des énoncés normalisateurs façon Dr Knock. Les Français commencent de se révolter, oui, contre l’autoritarisme de la fausse médecine, son dogmatisme, sa passion du contrôle, son goût des statistiques imbéciles, sa morgue. Ils commencent de se souvenir que le vrai, le grand, médecin n’est pas un administrateur des corps ; que son objet n’est pas la foule, ou la masse, menée à la baguette ; qu’il est un protecteur de l’être dont tout l’art est de rendre au sujet, provisoirement entravé, la part de liberté qui lui est ravie par la maladie. Cette prise de conscience est bonne.
Overnight, donc, les cheveux blancs de Donald Trump. On songe à la dernière nuit de Marie-Antoinette qui, elle aussi, aurait blanchi d’un coup. À Thomas Moore, la veille de sa montée à l’échafaud. À Jean Gabin, pendant je ne sais plus quelle bataille, en mer, contre les nazis. Mais on peut y voir aussi l’analogue de ce qui est arrivé, devant les caméras, à son avocat ou, mieux, son âme damnée, Rudy Giuliani pour le nommer, voyant fondre sa teinture à la chaleur de ses propres mensonges et la sentant, tel Aschenbach dans la dernière scène de Mort à Venise, lui dégouliner sur le visage. L’explication est plus prosaïque. Mais surtout plus pathétique. Comme une sorte d’ultime clownerie, au bout d’un règne qui fut celui d’un de ces rois de carnaval dont Alfred Jarry a croqué le prototype et qu’il appelait Ubu. Les empereurs romains laissaient des citations (« Alea jacta est »). Les rois de France frappaient des maximes paradoxales ou provocantes (« L’État, c’est moi ! »). L’homme à la moumoute jaune avançait, lui, comme Ubu, sous un feu roulant d’invective, dans un tonnerre de tweets et de jurons, et termine sur cette métamorphose étrange. Mais voilà. C’est fini.
Faut-il s’impatienter du traitement réservé par les meilleurs journaux et, parfois, les plus éminents éditorialistes à l’affaire Jonathann Daval ? Ce serait oublier Marguerite Duras et l’affaire Grégory. Barthes et l’affaire Dominici. Genet et Les Bonnes. Truman Capote et De sang-froid. Foucault et le cas Pierre Rivière. Gide fasciné par l’affaire Redureau, du nom de cet enfant de 15 ans massacrant les sept membres d’une famille. Proust lui-même consacrant l’essentiel de ses Pastiches au cas du faux ingénieur Lemoine, qui prétendait avoir trouvé le secret du diamant et tint, pour cela, la France (et la maison De Beers) en haleine pendant des mois. Le fait divers comme un des beaux-arts. Le vertige de ces affaires où tout tient à rien et dont les contemporains, disait Proust, hésitent à « soupçonner la grandeur ». Avec Michel Butel, en 1975, nous avions eu le projet de créer un journal qui ne parlerait que de cela. Dans mes notes, je retrouve (sans bien savoir d’où cela vient) : « ce qui tombe comme une feuille sur le tapis de la vie ».
Je me souviens si bien de ma rencontre avec Barack Obama, il y a seize ans, à Boston, à la convention démocrate, alors qu’il n’était même pas encore sénateur des États-Unis. Son éloquence. Sa grâce. Son charisme qui crevait les yeux. Et l’embarras de mon rédacteur en chef américain à qui j’avais remis, presque aussitôt, un papier titré : « Un Kennedy noir » et qui vint me trouver : « êtes-vous sûr ? votre goût, si délicieusement français, du paradoxe n’est-il pas en train de vous égarer ? et quitte à prédire à cet inconnu un improbable destin présidentiel, auriez-vous au moins la délicatesse de ne pas toucher à l’icône et de dire, non pas un “Kennedy”, mais un “Clinton” noir » (ce que je fis) ? Je n’ai jamais regretté ce texte. Jusqu’à la publication, ces jours-ci, de Mémoires qui, soudain, me troublent. Ces accès, ici ou là, d’autosatisfaction et, parfois, de mesquinerie. De suffisance et de petits sentiments. Avec, en point d’orgue, l’ancien président Sarkozy dépeint en « coq nain », sorti d’une « toile de Toulouse-Lautrec » et dont la « peau mate » ainsi que les traits « vaguement méditerranéens » rappellent qu’il est « moitié hongrois » et « un quart juif grec ». Un ancien président ne devrait pas dire ça. Et l’on s’étonne qu’il ne se trouve pas, en Amérique comme en France, davantage de consciences pour s’émouvoir de ce dérapage.
Parmi les quelques bêtises qu’a tout de même dites Sartre, il y a l’assimilation de l’homosexuel à un traître substantiel applaudissant, comme le Daniel des Chemins de la liberté, à l’entrée des Allemands à Paris. Or voici qu’un autre Daniel, mais un vrai, un homme de chair, de sang et de courage, vient de mourir et, comme Roger Stéphane, comme Pierre Herbart, comme Jean Desbordes, était le démenti vivant de ce préjugé calamiteux. Il s’appelait Daniel Cordier. Il ne faisait plus mystère depuis longtemps de ce que la presse continue d’appeler, avec une pudeur étrange, « son orientation sexuelle ». Résistant de la première heure, arrivé à Londres dès le 25 juin 1940 et devenu, en 1942, secrétaire de Jean Moulin, il était, centenaire, l’un des deux survivants de la plus noble confrérie de France, les compagnons de la Libération. À cette âme forte et droite, à ce grand homme, la patrie reconnaissante s’apprête à rendre, aux Invalides, l’hommage qui lui est dû. Merci à Emmanuel Macron. À tous égards, c’est justice
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