A l’heure – lundi matin – où j’écris cette chronique, nul ne peut sérieusement prédire le résultat des élections qui doivent renouveler, aux Etats-Unis, une partie du Sénat, la totalité de la Chambre des représentants et 37 gouverneurs sur 50.

Mais, quel que soit ce résultat, que le parti du président conserve sa majorité ou la perde, que l’avertissement adressé à Obama ait, ou non, le caractère spectaculaire dont rêvent les illuminés du Tea Party ainsi que les racistes qui n’ont pas avalé – et n’avaleront, d’ailleurs, jamais – le fait qu’un Noir ait pu s’installer à la Maison-Blanche, il y a un type d’arguments que nous devrions, nous, en France, cesser de prendre pour argent comptant.

On ne peut pas dire de la politique économique d’Obama, par exemple, qu’elle a « créé du chômage » quand toutes les études sérieuses (à commencer, fin août, par celle des pro-républicains Mark Zandi et Alan Blinder) disent qu’elle a créé près de 3 millions d’emplois nouveaux et que le taux de chômage, sans elle, se situerait entre 11 et 16 %.

On ne peut plus nous raconter que l’économie mondiale, sous Obama et par sa faute, courrait à la faillite quand la plus forte probabilité (François David, Le Figaro, 1er novembre) est qu’elle a commencé de se redresser sous l’impulsion, certes, des « pays émergents » mais avec l’appui – pourquoi ne pas l’admettre ? – d’une politique monétaire américaine qui était la meilleure possible dans un pays dont les consommateurs continuent de peser, à eux seuls, 18 % du PIB mondial.

On ne peut plus, de toute façon, tenir un président élu il y a deux ans pour responsable de ce délabrement de l’Amérique, de cette destruction lente de ses infrastructures, de ce déclin de son système éducatif ou de sa productivité que fustige Arianna Huffington dans son livre (« Third World America », Crown) mais qui a commencé, elle le dit bien, alors qu’il n’était, lui, Obama, pas né à la politique.

On ne peut pas lui reprocher d’aller à la fois trop vite et pas assez.

D’être trop soucieux de consensus, de nouer trop de compromis avec les plus honnêtes de ses adversaires – et de passer en force.

On ne peut pas s’apitoyer sur ses 49 % d’opinions favorables dans les sondages quand d’autres en sont à 29.

Ni sur la démobilisation de ses partisans quand deux humoristes, Jon Stewart et Stephen Colbert, réussissent, comme samedi, en quelques heures, à faire descendre 150 000 manifestants pro-démocrates sur le Mall.

On ne peut pas répéter en boucle qu’un séisme menace Washington quand il arrive au président ce qui est arrivé, à mi-mandat, à tant de présidents avant lui : sans remonter jusqu’à Eisenhower, Nixon ou Johnson, Obama sera juste, s’il perd, dans la situation de Reagan en 1982, de Clinton en 1994, de Bush en 2006 – et ce ne sera pas la fin du monde.

Il faut arrêter d’ânonner, encore, qu’Obama n’a « pas tenu ses promesses ».

Car quelles promesses, à la fin ?

Sur le système de santé qui condamnait, avant lui, 46 millions de pauvres à l’absence de soins et, donc, à une mort précoce, il a mené la plus grande révolution qu’ait connue le pays depuis le mouvement pour les droits civiques.

En Irak, il a tenu parole puisque le retrait est, d’ores et déjà, bien engagé et qu’il n’y aura, fin 2011, plus un soldat US à Bagdad et Bassora.

Au Proche-Orient, il fait l’inverse de ce qu’ont fait ses prédécesseurs et qui consistait à attendre les derniers mois de la dernière année de leur dernier mandat pour s’aviser de l’existence du problème et s’engager dans une course contre la montre dont le principal enjeu était d’obtenir, à l’arraché, comme un trophée, un vague accord bâclé qu’on n’obtenait, bien sûr, jamais : Barack Obama, lui, s’est avisé de l’urgence, et de la complexité, de l’affaire dès le premier jour de la première année de son premier mandat – et ce n’est déjà pas si mal.

Sur le front plus général de ce que Samuel Huntington avait imprudemment nommé la « guerre des civilisations », il a calmé le jeu, tendu la main à l’islam modéré et, tantôt par un grand discours (Le Caire), tantôt à travers de menus signes (l’affaire de la mosquée de New York), limité les risques d’un affrontement, bloc contre bloc, d’où les démocraties, et la démocratie, sortiraient forcément perdantes.

Il a changé le visage de l’Amérique.

Inventé un ton, et un frisson, nouveaux.

Il évite, dans son bras de fer avec Wall Street, le piège d’un populisme qui n’épargne pas plus les démocrates, hélas, que leurs adversaires.

Il réagit avec sang-froid, sans céder à la tentation de surjouer le rôle du ” commandant en chef ” en première ligne de la « guerre contre la terreur », quand Al-Qaeda s’invite dans la campagne en adressant deux colis piégés aux juifs de Chicago.

Barack Obama, en un mot, a parfois « déçu » (Guantanamo, l’Iran…) mais pas « failli ».

Et ne parleront d’« échec » que ceux qui, confondant la politique et la magie, regrettent qu’il n’ait pas, en un clin d’oeil, métamorphosé son pays et le monde.

Pour ma part, je tiens plus que jamais son apparition, puis son élection, puis son action, pour l’une des meilleures choses qui soient advenues à ce temps de ténèbres qui est, partout, et de plus en plus souvent, le nôtre.


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