L’armée française est en train de gagner, au Mali, une guerre exemplaire.

Elle sauve un pays ami qui était sur le point de tomber sous la loi des coupeurs de main et des experts en lapidation.

Elle brise, ce faisant, la jonction que ceux-ci avaient commencé d’établir avec leurs frères assassins du Nigeria et du reste de la région.

Elle le réussit, cet exploit, non pas avec des drones, mais avec des hommes.

Elle va au contact, pour ne pas dire au corps à corps, dans les grottes du nord du pays, en engageant ses soldats dans des opérations difficiles, à haut risque, qui ont déjà coûté la vie à cinq d’entre eux.

Elle se bat loin de ses bases, en terre inconnue, dans des conditions climatiques extrêmes, contre un ennemi redoutablement entraîné, déterminé, fanatique, se déplaçant comme un poisson dans le sable du désert, insaisissable.

Cette opération de tous les dangers, rondement menée, c’est l’anti-guerre d’Irak.

Cette guerre-éclair, conduite et gagnée, avec l’appui des forces maliennes, sans que l’on ait senti la possibilité même d’un enlisement, c’est l’anti-guerre d’Afghanistan.

Mieux : c’est, si l’on y réfléchit, la première défaite de l’islamisme militaire – il avait été défait politiquement en Libye ; l’intervention française avait eu pour effet, en montrant un visage fraternel de l’Occident, de pulvériser le noyau de l’argumentaire d’Al-Qaida et de faire qu’un an plus tard, dans les urnes, les forces qui se réclament du djihad, soient tout naturellement vaincues ; eh bien, là, c’est une défaite militaire ; c’est la première fois que le djihadisme fait la preuve qu’il n’est pas plus apte à mener une guerre qu’à gouverner un État ; et cela aussi est essentiel ; et, là encore, c’est une date clé.

Or l’extraordinaire, c’est que l’opinion s’en moque.

L’élection d’une Miss France passionne davantage les Français que les hauts faits de cette nouvelle armée d’Afrique.

Une belle Eurovision, pour ne pas dire une Star Academy, intéresse plus que la destruction, pour reprendre le mot de François Hollande, d’un Sahelistan en formation.

Pis, le transfert d’un joueur de foot anglais ou une victoire française en Coupe du monde suscitent plus de ferveur, d’enthousiasme, de fierté patriotique et nationale, que la mise hors d’état de nuire, par les soldats de la République, des bandes gangstérisées d’Abdelhamid Abou Zeid et Abdelkader Mokhtar Belmokhtar.

Ou plutôt, si. Il y a bien eu, ici ou là, des signes d’intérêt, des commencements de curiosité ou d’émotion, des poussées de fièvre brèves. Mais c’était en écho à des querelles dérisoires – ce qu’est cette guerre sans images… pourquoi il n’y a pas, comme en Amérique, davantage de journalistes emmenés en opération… pourquoi votre armée est muette… d’où vient que l’on nous cache tout… et si le droit au spectacle des combats n’est pas, à l’âge du tout-puissant visible, un droit acquis, un droit de l’homme… Ou c’était en contrepoint à des soupçons minables – si c’était bien à l’ex-puissance coloniale de venir au secours d’une nation anciennement colonisée… la part d’ombre de cette histoire… les intérêts occultes que l’on sert sous des dehors de grand désintéressement… l’uranium du Niger… le pétrole, je ne sais où… le contrôle des eaux souterraines… la gauchafrique… son fric… j’en passe, ce fut répugnant.

Et, quant à l’Europe, ce fut, s’il se peut, plus lamentable encore puisqu’elle aura vécu cette guerre au balcon, boudeuse, donneuse de leçons, marchandant son soutien ou le refusant carrément, une vague mission d’entraînement ici, deux avions transport de troupes là, prêtés à la Cedeao… z’aviez qu’à pas faire ça sans nous… trop facile de demander de l’aide après quand on n’a pas demandé la permission avant… vous faisiez les malins ? jouiez cavalier seul ? chantiez, dansiez, votre guerre fraîche et joyeuse ? eh bien payez maintenant… Quelle honte ! quel désastre ! Et, pour les vrais Européens, pour ceux qui, depuis la Bosnie, enragent de voir l’Europe sans stratégie ni courage, quel aveu d’impuissance, quelle preuve d’inexistence !

On verra, dans cette situation, le signe, au choix, d’une ignorance persistante, jusque chez les plus éclairés, des enjeux géopolitiques lourds qui décident de notre avenir et qui, même quand nous les oublions, ne nous oublient, eux, hélas, jamais (la géopolitique c’est le destin, disait Clausewitz, et notre destin, aujourd’hui, se joue entre l’islamisme qui progresse, le terrorisme qui se rapproche, et la lutte à mort, partout, entre islam éclairé et côté obscur de l’islam) – ou d’une réduction croissante, ne s’embarrassant plus d’aucune précaution, de la politique à un jeu de rôles sans grandeur, de l’Histoire à un spectacle ennuyeux si on ne lui injecte pas une dose de complotisme, et du tragique de notre condition à cette dramatisation futile dont Kojève disait qu’elle en est la caricature pathétique (avec avènement subséquent, comme à toutes les époques posthistoriques, d’un animal humain voué au pain, aux jeux, à l’esclavage).

Dans les deux cas, c’est inquiétant – et très triste.


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