Je sais que l’événement est infime et n’a que l’importance que l’on veut bien – ici comme ailleurs – lui accorder. N’empêche. Je n’en reviens pas de cette Journée du hidjab que vient d’organiser un groupe d’élèves de Sciences-Po. Que l’une des grandes écoles françaises, que l’Institut d’études politiques où sont censés se former les futurs serviteurs de l’État, que le lieu par excellence où devrait se forger ce qui nous reste d’esprit républicain, en soit là, que l’on ait pu s’y livrer à cette provocation absurde et obscène, que l’on ait pu songer à y mettre en scène et donc, qu’on le veuille ou non, à y célébrer l’un des symboles les plus hostiles aux principes constitutifs de la démocratie a quelque chose de sidérant. Car on prendra le problème par le bout que l’on voudra. Le voile peut être imposé ou désiré. Reflet de la loi des pères, des frères et des caïds ou expression d’un choix. Il peut être le signe d’une violence faite à celle qui le porte ou d’une soumission lucide, voulue, assumée comme telle. Dans les deux cas, il est la marque de l’effacement des femmes, de leur défaite, de leur inégalité décrétée. Dans les deux cas et, tout bien considéré, dans le deuxième presque plus que dans le premier, dans les situations où cet abaissement est conscient de soi presque plus que lorsqu’il est le fruit d’une aliénation obscure, il est la figure visible d’une idéologie et, dans certains pays, d’un ordre politique contre lesquels se battent celles et ceux qui, dans l’islam, refusent cette nouvelle forme de fascisme qu’est l’islamisme radical. On attend un Charia Day. Une Djihad Party. On attend, puisqu’on en est là, une journée de la lapidation avec travaux pratiques permettant d’« ouvrir le débat », de « mieux comprendre le phénomène » et d’en finir avec la « stigmatisation » qui frappe ce délicat châtiment.
Malaise aussi, quoique d’une autre sorte et dans le registre, cette fois, de la farce franche, face à « l’affaire » de la claque de JoeyStarr à Gilles Verdez. Le problème n’est évidemment pas d’être « pour » celui-ci ou celui-là. Et que les animateurs des émissions les plus débiles du PAF, que ceux de nos pafocrates qui carburent à la vulgarité sans limites et marchandisée fassent monter la mayonnaise et se jouent le grand air, ici de la vertu outragée, là de la résistance à la tyrannie bolloréique, c’est leur rôle et c’est dans l’ordre. Mais que la France entière s’y intéresse, qu’on ne parle plus, sur la Toile, que de ça pendant vingt-quatre heures, qu’il ne soit partout question que d’une guerre de hashtags et de likes où s’affrontent ceux qui estiment qu’on ne réveille pas un rappeur qui dort et ceux qui leur répondent qu’on ne frappe pas, surtout avec des bagues, un ambianceur de D8, qu’on discute à perte de vue sur la question de savoir si le second a, ou non, des « maux de tête » depuis que le premier l’a corrigé, voilà qui en dit long sur le climat de l’époque et, il faut bien le dire, sur son abaissement. Face aux indignés de Nuit debout et à leurs idéologues planqués, il était difficile de ne pas penser au style que maintenaient, en comparaison, les grandes voix de l’ultragauche d’autrefois. Face aux effervescences cathodiques d’aujourd’hui, face à une situation où l’humour potache d’un chroniqueur emperruqué, puis la riposte un peu trop musclée d’une grande gueule du show-business apparaissent comme le nec plus ultra de la provocation et de l’audace, il est difficile de ne pas avoir la nostalgie du « Messieurs les censeurs, bonsoir » d’un certain Maurice Clavel. Autres temps, autres mœurs.
L’affaire sérieuse de la semaine, c’est la montée du débat autour de la sortie, ou non, de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Contrairement à beaucoup, je ne suis pas du tout certain que cette sortie lui serait ni fatale ni même réellement dommageable. Et l’on voit assez bien un scénario où, au contraire, la City de Londres profiterait de la situation nouvellement créée pour s’affranchir des règles communautaires ; reprendre ses billes financières; profiter, pourquoi pas, de l’effet d’aubaine instauré par le ralliement de ses partenaires d’hier à l’idéal (?) de la transparence généralisée et de la chasse à l’argent caché pour devenir une gigantesque pompe aspirant à elle « la tournoyante volute de l’or » dont parlait Balzac ; et, riche de son incomparable technicité ainsi que de sa formidable puissance acquise, devenir un paradis fiscal d’un nouveau genre, un Jersey géant et sans réplique, un Luxembourg décomplexé, libre de ses mouvements et fort d’un rapport de forces inédit… Si ce scénario se produira ? On peut espérer que non. Mais une chose est sûre. Le résultat de ce référendum sur le Brexit dépendra d’abord, évidemment, du vote des électeurs. Mais l’attitude de l’Europe, sa capacité à susciter encore le désir, sa vitalité, ne seront pas sans conséquence. Ou bien elle s’exprime, s’affirme et fait savoir que son projet a toujours un avenir – et le parti de l’union se verra renforcé dans ses raisons. Ou bien elle se tait, laisse s’installer le découragement et le doute et donne, par son inertie, le signal du sauve-qui-peut – et il y a gros à parier que ce ne seront pas les plus faibles mais les plus forts, ceux qui ont donc le plus à perdre à un lent naufrage programmé, qui, les premiers, quitteront le navire. L’Europe, plus que jamais, est à la croisée de ses destins.
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