Ça n’avait pas trop mal commencé.
Mélenchon est né à Tanger, ville cosmopolite et ample, ville d’écrivains et d’esthètes, ville de tangence entre un Orient compliqué et une Europe curieuse.
Mélenchon a tout de suite eu cet art de la faconde et de la belle langue dont on ne sait s’il est né, pour lui, sur l’agora d’Athènes ou entre le Grand et le Petit Socco.
Au moment où la plupart cèdent à cette logique de « com » qui tue la parole politique, il est l’un des derniers à garder dans son parler un peu de cet accent désuet, de ce chantonnement léger et épicé, de ce râpeux, qui firent les riches heures de l’éloquence française.
Et je me souviens de rencontres – une, rue des Saints-Pères, en 2007, pour un entretien dans Technikart – où je sentis en lui quelque chose de rafraîchissant et vrai : à commencer par ses livres qu’il écrivait visiblement lui-même.
Que s’est-il passé, alors ?
Quelle querelle intime ou quel calcul ?
A-t-il changé, vraiment, ou juste sauté sur le rôle que lui offrait la telenovela généralisée qu’est devenue la politique ?
Parfois, je me dis que c’est son amour de soi qui l’a perdu.
L’orchestration de ses meetings… Sa façon, non plus de parler, mais de s’écouter… Le parfum de culte de la personnalité qui flotte, dit-on, dans les rangs de son parti… Et puis cette affaire d’hologramme qui a donné lieu à tant d’explications alors que la vérité, toute simple, crevait les yeux : n’était-ce pas, d’abord, un sommet inégalé de la jouissance narcissique en politique ?
Parfois, au contraire, je me dis qu’il y a quelque chose, en lui, de l’« enfant humilié » bernanosien qui n’est jamais si méchant que lorsqu’on lui a refusé la « sorte d’investiture » à laquelle il pensait avoir droit.
Il a tant aimé Mitterrand… Tant envié Hollande… Mais rien… Nulle reconnaissance en retour… Des positions perpétuellement subalternes… Et l’obligation de ronger son frein tandis que des chefs à la nuque raide lui préféraient des seconds rôles.
Quelle qu’en soit la raison, le résultat est là.
Cet homme, parti pour incarner le meilleur de l’esprit républicain, a décidé de se mettre à son compte et de devenir, ce faisant, le premier dans la décrépitude de son art politique.
Observez-le quand, sur le plateau du « Grand Débat », il opine du bonnet lorsque Marine Le Pen, à sa gauche, pourfend l’Europe ou l’Otan.
Notez, quand il clame l’urgence d’un autre grand remplacement qui permettrait de sortir les sortants et de dégager les élites républicaines faillies, son mano a mano avec la sémantique et la violence de l’extrême droite.
Écoutez, dans ses incantations « nationales », cette petite musique qui est celle d’un boulangisme dont le principe était déjà de mixer culte de la personnalité et appel au peuple.
Et puis la France insoumise…
N’est-il pas étrange, à la fin, que, chaque fois qu’un peuple insoumis affronte une dictature, une vraie, il s’arrange pour venir en renfort de la seconde et pour accabler le premier ?
Poutine, plutôt que Navalny.
L’aspiration à la démocratie en Syrie réduite à une affaire de pétrole et de gaz dont le dernier mot devrait rester à Bachar.
Le combat pour l’indépendance des Ukrainiens ramené à un complot « impérialiste » ourdi par des « aventuriers putschistes ».
Le dalaï-lama, et les Tibétains survivants des massacres, accusés de vouloir instaurer une « charia bouddhiste ».
Et puis, plutôt que les militants des droits de l’homme en Amérique latine, des odes à Chavez et Castro.
Objectera-t-on que ce dernier fut, à sa façon, un « insoumis » ?
D’abord, je ne le crois pas.
Mais l’aurait-il été que notre Mélenchon national aurait, pour le coup, un bon demi-siècle de retard sur « l’ère du peuple » qu’il nous annonce.
On sent sa nostalgie « ado » pour les grands récits d’autrefois.
Et je me rappelle, dans notre conversation de 2008, sa touchante fascination pour les grands-ducs du gauchisme haute époque que cet éternel radsoc regrettait de n’avoir pu côtoyer.
Mais on ne fait pas de politique avec pareils enfantillages.
Ou, si on en fait, c’est une politique pour les nuls et qui n’embrasse, à la fin, que des ombres désespérantes et plates.
Il parle de « dégagisme » quand ses aînés disaient « dialectique ».
Il se replie sur le « souverainisme » quand ils inventaient l’idée neuve d’« internationalisme ».
Et, dans le monde simplifié et spectral qui est le sien, le Grand Soir ressemble à Halloween ; il ne reste du maoïsme que le col ; Robespierre devient un tribun pétulant et râleur ; et Saint-Just se retrouve grimé en Tartarin de Tarascon.
Cette parodie, ce simulacre, ce côté rentier de la révolution et insoumission sans risque, c’est ce qui plaît chez Mélenchon.
Sauf que c’était tout de même autre chose, Saint-Just !
C’était cette jeune torche qui incendia de son amour fou la langue des héritiers de Rousseau.
Et, si rassuré que l’on puisse être par cette tchatche et cet ersatz, finalement inoffensifs, des radicalités de naguère, on ressent un malaise face à un usage aussi kitsch de l’histoire de France et du siècle.
Comme il est chétif, alors, notre insoumis.
Comme il est vain et creux, et comme il est ectoplasmique, ce mauvais thaumaturge qui saute dans le gouffre aux spectres parce qu’il aima, jadis, nager dans le « vaste océan, aux vagues de cristal » – celui qui vient mordre encore les rives de Tanger.
Il veut reprendre le flambeau. Mais sait-il seulement tenir une allumette ?
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