« Dans ce moment très difficile, c’est important pour nous de savoir que nous ne sommes pas seuls. » Quelques drapeaux bleu et jaune s’agitent dans la salle Buñuel au dernier étage du Palais des festivals, à Cannes, en ce mardi 13 mai, pendant que l’ambassadeur d’Ukraine en France, Vadym Omelchenko, déclame, ému, le salut national − « Slava Ukraïni ! » (« gloire à l’Ukraine ») – face à une salle acquise à sa cause. Le diplomate accompagne sur scène le réalisateur Yves Jeuland, la grande reporter au Monde Ariane Chemin, et la chercheuse Lisa Vapné, coauteurs du documentaire en deux parties Zelensky. En marge de sa diffusion sur la chaîne Arte, ce portrait riche en archives et nourri d’interviews, qui retrace l’incroyable destin du comédien russophone devenu chef de l’État après l’avoir été dans une série sur le petit écran, ouvre la programmation spéciale de trois films consacrés ce jour-là à l’Ukraine.

« En ce premier jour de Festival, c’est à vous que l’on pense », confie Thierry Frémaux, rappelant le discours tenu par Volodymyr Zelensky, lors de la cérémonie d’ouverture, en 2022, quelques semaines seulement après l’invasion de son pays par la Russie. « On ne s’imaginait pas que ça durerait encore jusqu’en 2025 », se désole le délégué général, content de pouvoir « montrer de beaux films » qui « disent des choses essentielles ». « Il faut rappeler au monde que l’Ukraine existe et qu’elle continue à se battre », énonce Vadym Omelchenko, alors que l’élection à la Maison Blanche de Donald Trump fragilise un peu plus la position de son pays face à la Russie.

L’altercation opposant Volodymyr Zelensky et le président américain dans le bureau Ovale de la Maison Blanche, le 28 février, devant les caméras du monde en entier, est reprise dans Notre guerre, quatrième chapitre documentaire que Bernard-Henri Lévy consacre, avec Marc Roussel, au conflit depuis 2022. Dans une des scènes les plus fortes de cette hagiographie lyrique de la résistance ukrainienne quelque peu prise au piège du narcissisme de son auteur, on voit l’écrivain et philosophe français engagé en pleine discussion avec le chef de l’État peu avant son départ pour Washington. Zelensky, fébrile, y révèle sa grande peur de perdre l’appui d’un allié américain, dont il est devenu dépendant pour sa survie entre livraison de missiles et de renseignements militaires.

« Un ruisseau de sang »

Avant la projection, Bernard-Henri Lévy rend un long hommage à celles et ceux qui ont permis au film d’exister. Le Français lit quelques mots d’Andriy Yermak, le chef du cabinet de la présidence ukrainienne, qui salue « un peuple qui documente sa lutte, sa douleur, sa beauté, son rêve ». Puis il fait monter sur scène, sous les applaudissements du public, debout, Ioulia Paievska. L’infirmière, qui avait documenté le siège de Marioupol en 2022, confie avoir vu ces dix-huit derniers mois la mort à une fréquence qu’on ne peut imaginer. Sur le tapis rouge cannois, elle lit aujourd’hui « un ruisseau de sang qui coulerait sur les escaliers ».

Pendant la projection, l’émotion est palpable dans la salle où sont présents de nombreux Ukrainiens. Collection de souvenirs liés au conflit et de nouvelles du front, Notre guerre documente sur la fin la question des milliers d’enfants ukrainiens enlevés par les forces russes, et la destruction de villes entières. Au premier rang, une jeune femme, un drapeau sur les genoux, pleure de longues minutes avant que les lumières ne se rallument.

D’une puissance rare

Pour finir la journée, A 2 000 mètres d’Andriïvka, de Mstyslav Chernov, nous plonge plus loin encore dans la nuit ukrainienne. Primé au Festival de Sundance, en février, ce film d’une puissance rare, hommage à ceux qui se battent pour leur liberté, suit l’assaut sur 2 kilomètres d’une unité spéciale pour reprendre un village tenu par les Russes pendant la grande contre-offensive de 2023. Tourné à l’aide de drones et de caméras embarquées sur les casques même des soldats ainsi qu’à leur côté, le documentaire saisit de l’intérieur le chaos et la violence de cette guerre de tranchées, quadrillée par les drones.

Les blessures s’accumulent pour ces volontaires qui ont tout mis de côté pour défendre leur terre occupée quand ce n’est pas la mort qui rôde, lors de cet assaut, ou d’autres à suivre, dont nous informe une voix off. Si, à la fin du film, les soldats parviennent à replanter le drapeau ukrainien dans les ruines d’une ville dévastée, un carton nous apprend que, depuis, cette bande de terre a été reprise par les Russes. Avec A 2 000 mètres d’Andriïvka, – qui comme Notre Guerre sera bientôt diffusé sur France Télévisions – Mstyslav Chernov raconte de manière dévastatrice l’absurdité de la guerre comme un long cauchemar dont on n’entrevoit jamais la fin.


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