Peu d’écrivains suscitent autant de haine, de mépris ou de moquerie que Bernard-Henri Lévy. Il est trop photogénique pour être doué, trop riche pour être crédible, trop influent pour être intègre, pas assez vieux pour être sérieux, plus assez jeune pour être à la mode.

Il a lancé les Nouveaux Philosophes, a épousé Arielle Dombasle à la Colombe d’Or, a parlé des hommes et des femmes sous un arbre avec Françoise Giroud : trois crimes impardonnables ! Il n’a pas d’autodérision. Il n’écoute personne. Il fallait le faire payer. Il devait expier tous ses péchés : sa chronique du Point, ses couvertures de Paris Match, son prix Médicis en 1984 pour Le Diable en tête, son prix Interallié en 1988 pour Les Derniers Jours de Charles Baudelaire… L’addition, ce fut le « Bide Bang » (l’expression est de lui) de son film Le Jour et la Nuit.

Après l’échec public et critique de la chose, il s’est enfui à Tanger, seul avec son stylo… Cela donne ce livre : une Comédie pas drôle. L’autocritique de la dernière chance. On se frotte les yeux, on se pince, mais il faut se rendre à l’évidence : le plus violent pamphlet contre BHL est bel et bien signé Bernard-Henri Lévy. Il y déballe tout : qu’il prend du Captagon (une amphétamine), qu’il a lui-même ajouté son deuxième prénom pour être moins banal, qu’il s’est tapé des prostituées, qu’il est allé en Bosnie parce qu’il avait raté Mai 68.

Il a sorti ses tripes de son décolleté

Il avoue son « péché d’orgueil », son ambition, ses erreurs, sa schizophrénie, son aveuglement, la haine de son image de marque, sa souffrance d’en être à la fois l’artisan et le prisonnier. Il ne s’épargne pas : « Je déteste ma voix », « il est rare de se sentir si parfaitement détesté », « je savais que j’avais rendez-vous avec le grand échec », « le roi des cabots, l’égocentrique absolu, le directeur de la règle du je »… Comédie est un règlement de comptes personnel à la Doubrovsky ; le bilan d’une vie ; une confession d’une rare honnêteté ; oui, c’est donc chose possible : un BHL sincère. Évidemment, on devine l’entreprise de résurrection. BHL n’avait pas le choix : c’était ce livre ou se flinguer. Alors il a mouillé sa chemise blanche, sorti ses tripes de son décolleté, et s’est entarté lui-même : un beau geste. Mais si Comédie est une réussite totale, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un essai révolté contre l’époque de la fausse vertu, cette fin de siècle où triomphent les écrivains « secrets », qui cultivent leur absence et donnent des leçons de pureté (dangereuse). C’est mon humble avis – et pas seulement le mien.


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