À la suite de l’article de Bertrand Poirot-Delpech sur l’essai de Bernard-Henri Lévy (Le Monde du 16 janvier), nous avons reçu cette lettre de l’auteur :

Bernard-Henri Lévy à Bertrand Poirot-Delpech

Je lis avec stupeur l’étrange article consacré à mon dernier livre, L’Idéologie française.

Je passe sur le ton, plutôt inhabituel, d’un « compte rendu » qui commence par affirmer, sans produire l’ombre d’une preuve, et sans en donner un seul exemple, que ce livre serait un « tissu de citations fantaisistes et hors contexte ».

Je passe aussi sur le titre même donné à ce compte rendu – « Tous des fascistes ! » – et qui ne peut que dénaturer gravement l’esprit d’un essai qui se propose, dès les premières pages, de marquer le partage entre deux France, celle de la « Résistance » et celle de la « démission ».

Je passe encore sur la thèse qui m’est prêtée d’une culture française qui serait, « globalement » et « toutes familles confondues », porteuse de « national-socialisme et de racisme » quand toute ma démonstration vise, au contraire, à isoler une tradition spécifique, singulière, dont le limite et balise soigneusement le champ, et qui est celle du « fascisme à la française ».

Mais je ne puis laisser passer, en revanche, l’insinuation selon laquelle, d’après moi, « on ne pourrait s’en prendre à l’Amérique sans toucher à la liberté », puisque j’affirme expressément et explicitement l’inverse : « Je ne tiens pas le deep south, la patrie du Ku Klux Klan, le pays du napalm au Vietnam et des souteneurs de Pinochet pour l’incontesté parangon d’une incontestable liberté » (page 289).

Je ne puis laisser dire non plus que j’aurais ignoré le « sens métaphorique du mot race chez le dreyfusard Péguy » puisque j’écris, là encore en propres termes, que les « péguystes ont raison de dire qu’il faut entendre ce mot au sens figuré et de façon métaphorique » (page 116) et que je m’étends longuement (pages 114-115) sur le dreyfusisme de l’auteur de Notre jeunesse.

Il m’est impossible, enfin et surtout, de ne pas réagir au reproche qui m’est fait de transformer Blum et Jaurès en ancêtres du « racisme » ou du « national-socialisme » alors que je vois dans le jauressisme (page 132) la « part d’honneur » de la France d’avant 1914 ; dans la personne même de Blum (page 19), « l’un des plus admirables apôtres de la démocratie » ; et dans la tradition qu’ils incarnent tous deux le meilleur recours dont nous disposions, aujourd’hui comme hier, pour conjurer l’éternel retour de nos démons (pages 202 et 297).

Ce sont là des exemples parmi d’autres, mais particulièrement flagrants, des malentendus et contresens qu’accumule comme à plaisir ce singulier article. Il ne s’agit nullement, on en conviendra, de points d’interrogation sur lesquels on pourrait disputer, mais d’une littérale méconnaissance de ce que j’ai littéralement écrit. C’est la raison pour laquelle, répugnant à m’engager, sur de telles bases, dans le « débat intellectuel » auquel votre chroniqueur semble me convier, je compte simplement sur votre courtoisie pour bien vouloir porter à la connaissance de vos lecteurs ces quelques précisions.

Bertrand Poirot-Delpech à Bernard-Henri Lévy

Les articles ressemblent aux livres dont ils parlent. À pamphlet « sectaire », critique véhémente, mais étayée.

Si l’auteur voulait seulement « isoler une tradition spécifique, singulière », comme il l’assure aujourd’hui, pourquoi son titre global : L’idéologie française, qui justifie le mien : « Tous des fascistes » ?

Je maintiens que ses citations sont « fantaisistes ». Un exemple : la note 81, deuxième partie, chapitre 1, ne renvoie à rien.

Le livre de B.-H. Lévy dénonce bien toutes les familles d’esprit françaises. La preuve ? : « Les deux bords se touchent, sont parfaitement contigus l’un à l’autre. Et ce qui se dit là, d’un bord à l’autre, c’est la réalité, simplement, de ce qu’il tant bien appeler, déjà, un national-socialisme à la française » (p. 123) ; « Vieille gauche, nouvelle droite, même combat : et ce combat, lourd d’un siècle d’histoire de France, s’appelle, qu’on le veuille ou non, celui de l’antisémitisme » (p. 281).

Sur l’Amérique, l’auteur fait, en effet, des réserves, mais il affirme « Que la haine brute, brutale, totale de l’Amérique en tant que telle est belle et bien elle, par contre, la haine de la liberté » (page 289).

Après avoir effectivement présenté la tradition démocrate comme « le meilleur recours » contre nos démons, l’auteur ajoute : « Et pourtant, en même temps, non. En un autre sens non. Paradoxalement, mais tout aussi décidément non » (p. 132) « Nous vivons dans un pays qui contrairement à la légende, n’a plus depuis longtemps, d’authentique doctrine démocratique » (p. 202).

C’est là le plus juste de l’avertissement « singulier » de B.-H. Lévy, je l’ai dit. Mais je maintiens que la démocratie ne peut rien gagner aux méthodes de débat dont il a pris l’initiative.


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