Ciel gris et bas sur Paris. Nuages ironiques et ronds. Et cette élection bizarre avec taux d’abstention record dans les annales de la Ve République. Indifférence ? Méconnaissance soudaine des enjeux ? Ou régime nouveau de la chose poli- tique : un jour effervescence ; le lendemain, sans vraie raison, une apathie nouvelle, désorientée, absurde ? Ce qui n’est pas absurde, en tout cas, c’est de songer à réformer le système. A priori, deux solutions – deux seulement. Celle qu’a tout de suite proposée le directeur de L’Express, Christophe Barbier : déconnecter les deux élections, décaler les législatives d’un an – au risque, pendant cette année, de faire cohabiter un président Hollande avec un Parlement de droite, ou l’inverse. Ou celle que proposait, il y a trois ans, la commission Balladur et que reprend Noël Mamère, des Verts : faire coïncider les deux scrutins, même jour, même heure, même geste redoublé – au risque d’accentuer la présidentialisation du régime. C’est ça ou rien. C’est ça ou la transformation de la France en une province de l’empire du Rien. Après la République de France, la France comme une préfecture. Veut-on cela ?

Pendant les élections, le massacre continue. Les hélicoptères de combat à Rastane. La province de Deir Ezzor, à l’est, pilonnée comme jamais à l’arme lourde. 17 morts dimanche. 63 samedi. Et un bon tiers de la Syrie transformé, dans l’indifférence quasi générale, en un gigantesque mouroir. Pour le président Hollande, doté de cette majorité parlementaire bizarre mais désormais probable, il y a, de nouveau, deux options – deux seulement. L’option François Mitterrand, qui, en Bosnie, joignit le mauvais geste à la bonne parole (une intervention qui n’en était pas une et qui, à la façon du « poème sans encre » de Jean Cocteau, effaça la belle page que le voyage à Sarajevo de juin 1992 avait écrite). La jurisprudence Sarkozy qui, en Libye, mit en œuvre la « responsabilité de protéger » inscrite dans les obligations nouvelles de la charte des Nations unies (pour la première fois dans l’Histoire contemporaine, une intervention militaire « gratuite », sans visée coloniale, sans projet d’occupation, sans intérêt stratégique national). Son mentor ou son prédécesseur. À lui de dire. À lui de choisir.

Le bon côté de l’abstention, c’est qu’elle élève le seuil à partir duquel un candidat, arrivé troisième au premier tour, est autorisé à se maintenir au second. Mais son mauvais côté, c’est qu’on va réavoir droit, de la part des braillards du Front national, à l’éternel débat sur la question de savoir s’il est normal qu’un parti recueillant 13 % des suffrages n’ait que deux ou trois députés au Parlement. Eh bien, soyons clair. Et que ceux que ces criailleries pourraient intimider relisent Tocqueville, Montesquieu ou même, avant cela, le Contre Aristogiton de Démosthène. La démocratie, ce n’est pas seulement la loi du grand nombre. C’est aussi, et d’abord, des principes. Et, quand ces principes sont menacés, il faut des garde-fous qui les protègent. Aujourd’hui une menace : ce parti, le FN, qui prêche la désunion, prône la sortie de l’Europe et propose, en temps de crise, des mesures suicidaires. Et, face à la menace, ce garde-fou : l’effet de seuil, oui ; le face-à-face, aux législatives aussi, d’un homme et d’un peuple ; et le refus, par conséquent, du piège de la proportionnelle.

L’Éclaircie, de Philippe Sollers, c’est aussi un film (signé Sophie Zhang et G. K. Galabov, projeté, la semaine dernière, dans le grand auditorium de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière et que l’on trouve, en attendant mieux, sur le site internet de l’auteur de Femmes). Haydn y dialogue avec Manet. Une demoiselle d’Avignon « ravissante » danse sur un concerto pour luth de Vivaldi. Les femmes de Manet croisent celles de Picasso. Conchita, la petite sœur, morte à 8 ans, ressuscite à la mine de plomb. Et les premiers autoportraits du peintre… Et Lautréamont en lever de rideau… Et le regard obsédant de Rimbaud, contrebandier de la musique, qui nous poursuit jusqu’à la dernière image… Une phrase, parce qu’elle dit l’héroïsme solitaire de Picasso et parce qu’elle fait, aussi, écho à un autre film, La dialectique peut-elle casser des briques ?, tourné par le prochinois René Viénet au début des années 1970, pourrait servir d’exergue au film : « Les murs les plus forts s’ouvrent à mon passage » .

Dans la guerre littéraire, dit quelque part René Crevel (dont les Écrits sur l’art, y compris, justement, ce Picasso ou l’imagination critique que j’ai lu, puis perdu, en 1976, à l’époque où j’incarnais son personnage dans une adaptation pour la télévision du chef-d’œuvre d’Aragon, Aurélien, viennent d’être enfin rassemblés et édités – Petite Bibliothèque Ombres), dans la guerre littéraire, dit Crevel, on peut errer dans la « réflexion », mais il faut « être sûr » de ses « réflexes » . Eh bien, pour une fois, c’est raté ! Et ce mot dont je m’étais fait, depuis le temps, une sorte de règle secrète, je viens apparemment d’y manquer ! Un critique de cinéma, Thomas Sotinel, m’ayant dépeint en « disciple involontaire de Chaplin », je lui ai répondu, sur le même ton, celui de l’humour, que, Chaplin étant le plus grand acteur de tous les temps, c’était me faire trop d’honneur que de me comparer à lui et que ma présence au conseil du journal où il écrit ne l’obligeait nullement à me flatter ainsi. L’intéressé n’a pas trouvé ça drôle. Je pense, finalement, qu’il a raison. Aléa de la parole vive et du direct. Droit, dans ce cas, à la reprise et au regret. Voilà qui est fait. De bon cœur.


Autres contenus sur ces thèmes