L’antisémitisme flambe et nous regardons ailleurs. 1 676 actes antisémites recensés en 2023, soit une hausse de plus de 1 000 % en un an. Et pourtant, en pleine campagne des européennes, le sujet reste à la traîne, comme éclipsé par la force de frappe médiatique des militants pro-palestiniens. Bernard-Henri Lévy s’indigne : « Les grandes listes républicaines – Renaissance, Les Républicains, le Parti socialiste, Place publique – ne mettent pas l’antisémitisme en tête de leur agenda politique. »
C’est ainsi que pour interpeller les candidats sur l’explosion de l’antisémitisme en Europe, le philosophe a donné rendez-vous ce lundi 3 juin au soir au Théâtre Antoine. L’événement est organisé par la revue littéraire La Règle du jeu, et réunit une trentaine de responsables politiques, intellectuels, écrivains et artistes. Parmi lesquels les présidents des deux chambres du Parlement, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, la maire de Paris, Anne Hidalgo et l’ancien Premier ministre, Manuel Valls. Mais également le rabbin Delphine Horvilleur, l’essayiste Yann Moix, l’écrivaine Justine Lévy, les comédiens Sandrine Kiberlain et Yvan Attal, ou encore le président du Crif Yonathan Arfi.
La jeunesse ignorante
Tous ont répondu par la positive et avec gravité à l’invitation. Et pour cause, « l’Europe est au bord de l’abîme » a répété Anne Hidalgo de concert avec la journaliste et essayiste Caroline Fourest, qui figure également parmi les invités : « L’antisémitisme n’est définitivement pas résiduel : il déborde ». Des campus universitaires, notamment. « On ne fait pas de grandes études pour confondre une attaque terroriste et une guerre, si meurtrière soit-elle, qui ne fait qu’y répondre », poursuit la directrice de la rédaction du magazine Franc-Tireur. Tonnerre d’applaudissements, standing ovation.
Juste avant elle, l’écrivaine Christine Angot a moqué une jeunesse élitiste qui opère une confusion entre « massacre » et « génocide », « antisémitisme » et « racisme », ou encore, « Shoah » et « conflits ». « Il n’y a donc personne à Sciences Po pour leur dire qu’indifférencier sous un seul mot mène à l’indifférence ? Et que la suppression dans leur bouche du mot antisémitisme est un négationnisme ? » s’interroge cyniquement l’auteure du prix Médicis, Le Voyage dans l’Est. Et d’enfoncer une porte : « Si Jean-Marie Le Pen disait aujourd’hui que la Shoah était un point de détail de l’Histoire, cela ne poserait aucun problème. »
LFI, le visage d’un « nouvel antisémitisme »
Aux abords de 20h45, les premiers commentaires fusent dans les rangs des spectateurs. « J’ai bien aimé Christine Angot, elle était vraiment juste ». Il faut dire que la lettre de haine envoyée à la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a ouvert la soirée, résonne encore dans ce théâtre de la seconde moitié du XIXe siècle. « 19 avril 2024 : Salut la putain de juive, dommage que ton avion ne se soit pas crashé. Mais quand ils ont remis les gaz, ça doit te parler ce mot. On va finir le boulot de 45. Éliminer la vermine juive. On a progressé en technique. On ne t’oublie pas, ta famille non plus d’ailleurs ».
Silence d’indignation dans la salle. D’une voix basse, emprunte de solennité, le quatrième personnage de l’État raconte avoir déposé pas moins de quarante-huit plaintes pour menaces de mort ou outrage. Vingt-quatre sont clairement motivées par l’antisémitisme. « Au vieil antisémitisme d’extrême droite s’ajoute maintenant une haine du juif déguisé au foulard du gauchisme et de la cause palestinienne », a poursuivi Yaël Braun-Pivet, dans le sillage de Gérard Larcher, affirmant qu’aujourd’hui « l’antisémitisme se nourrit à d’autres sources, celles d’un islam radicalisé et d’une extrême gauche ».
Quelques lignes plus tard, le président du Sénat donne à cette « extrême gauche » une incarnation physique et morale : Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise, qui, « aveuglés par leur antisionisme pour des considérations électoralistes, ont perdu tout repère et se sont mis en marge des valeurs de la République ». Et de faire écho avec l’hôte de la soirée qui étrille un parti « peuplé de gens qui parlent comme Edouard Drumont, comme Maurice Barrès ». En somme, « comme des antisémites ».
Le jeu bien caché de l’extrême droite
Pourtant, pendant longtemps, « antisémite » et « gauche » ont sonné comme deux oxymores. Mais en être convaincu serait ignoré l’histoire de « l’antisémitisme traditionnel français », selon la formule de Bernard Henri Lévy qui précise à L’Express : « Ceux des Insoumis qui hurlent le plus fort ne sont pas seulement des cyniques machiavéliens qui tentent de draguer les voix des banlieues, ce sont des antisémites qui s’inscrivent dans une longue tradition française qui est celle de l’antisémitisme socialiste, un courant qui n’a pas attendu les immigrés pour prendre forme ».
Une haine du juif, qui a cohabité pendant des décennies d’extrême droite, qui n’aurait jamais vraiment disparu. « On ne cesse pas d’être antisémite par décret. L’antisémitisme a contaminé et contamine toujours le RN. On ne s’en débarrasse pas par une décision de bureau politique : c’est un travail lent, patient, qui consiste à aller au bout de son propre égarement », décrit Bernard Henri Lévy. Incisive, Caroline Fourest dénonce quant à elle « le parti des racistes qui ne s’inquiètent de l’antisémitisme que quand il vient des musulmans ou des frères musulmans […] et qui continue à cultiver dans son arrière-boutique l’antisémitisme de jadis ».
Voilà alors deux antisémitismes mis dos à dos. Tous deux « très bien organisés », constate l’ancien ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, « contrairement aux forces républicaines, démocrates, et humanistes ». Mais l’heure tourne, il est minuit moins cinq. Le nez sur sa montre, Christine Angot le sait, et comme pour tirer la sonnette d’alarme, convoque Philippe Sollers : « Elle était là, elle est toujours là, on la sent peu à peu remonter en surface, la France moisie est de retour. »
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