La guerre contre le terrorisme avait déjà fait un heureux : Vladimir Poutine profitant du climat de confusion faisant suite au 11 septembre pour entrer, en Tchétchénie, dans la dernière phase de sa sale guerre.

Elle vient d’en faire un autre : le vieux Fidel Castro profitant de ce que le monde entier avait les yeux braqués sur l’Irak pour mener l’une des opérations de répression les plus spectaculaires de l’histoire de Cuba – 78 dissidents arrêtés en deux semaines ; des procès implacables où l’on a vu des militants des droits de l’homme contraints d’avouer, dans le plus pur style des procès de Moscou, des liens imaginaires avec la Section des intérêts américains à La Havane ; et, à l’arrivée, pour ces « apatrides », ces « contre-révolutionnaires», ces « mercenaires », ces « traîtres à la nation », des peines allant de trois à vingt-sept ans de prison.

Reporters sans frontières, fidèle à la vocation de vigilance qu’il s’est donnée en ces matières, a rendu publics les noms de ces 78 hommes et femmes dont le seul crime est d’être catholiques, ou démocrates, ou d’avoir réclamé un peu plus de liberté d’information ou d’expression.

Il a dit l’horreur de ces « actos de repudio », de ces « répudiations publiques », organisées en sous-main par le régime et au cours desquelles des citoyens dénoncés pour avoir placardé, chez eux, une affiche du « projet Varela », cette pétition appelant à la tenue d’élections libres, se voient insultés, humiliés avec une brutalité sans pareille, publiquement roués de coups par le comité de révolution du quartier.

A propos de brutalité, nous avons même eu droit, ici, à Paris, au spectacle inouï, mais éloquent et, à l’exception d’un article du Monde, étrangement peu commenté, de l’ambassadeur de Cuba en France venant lui-même, à la tête d’une bande de nervis, disperser à coups de barre de fer une manifestation d’écrivains et de journalistes venus témoigner, sous ses fenêtres, à l’appel de Zoé Valdés, Eduardo Manet, Robert Ménard et quelques autres, de leur solidarité avec les nouveaux « gusanos », ces « vers de terre » qui, selon Fidel, ne songeraient qu’à prendre le chemin de l’exil.

Je veux m’associer, ici, à la protestation de mes amis de Reporters sans frontières.

Je veux, comme eux, adjurer la diplomatie française de suspendre l’admission de Cuba dans la Zone de solidarité prioritaire qui inclut les pays avec lesquels nous entendons « nouer une relation forte de partenariat dans une perspective de solidarité et de développement durable » à la libération de l’ensemble des journalistes incarcérés, à l’abolition du monopole de l’Etat sur l’information et à la légalisation des agences de presse indépendantes.

Je voudrais dire aussi le désastre de ce pays magnifique, doué pour le bonheur, qui devient au fil des ans l’un des pays les plus pauvres, les plus déshérités de la planète : une gigantesque prison ; un petit goulag tropical, disaient, il y a vingt ans, mais la situation n’a pas changé, les vieux compagnons de Fidel passés, comme Hubert Matos ou Carlos Franqui, dans le camp de la dissidence ; un enfer ; un bordel – la dernière trouvaille de Castro, sa toute dernière idée pour sauver son peuple de la faim n’ont-elles pas été d’ouvrir l’île à un tourisme sexuel venu, non plus, comme sous Batista, des seuls États-Unis, mais du monde entier ?

Alors, bien sûr, il y a le fameux boycott.

Et peut-être le temps est-il venu de priver le régime de cet argument ultime, ressassé à longueur de discours fleuves par un dictateur gâteux, que l’on dirait sorti d’un roman de Garcia Marquez et qui, récemment encore, dans un accès de folie qui eût, en d’autres circonstances, paru comique ou pathétique, faisait du programme d’« éradication du moustique » une étape essentielle de la guerre anti-impérialiste : « l’Amérique affame Cuba ; l’Amérique étrangle Cuba ; nous résistons comme nous pouvons, à Cuba, contre une mise en quarantaine voulue par les Yankees ».

Mais il faut, en même temps, tenir ferme sur les principes.

Il faut retirer à Cuba cet étrange statut de dictature sympathique et favorisée dont elle continue de jouir, d’une manière parfaitement inexplicable, dans toute une partie de l’intelligentsia progressiste occidentale et notamment française.

Il faut, comme il y a vingt ans, quand nous organisions, avec Revel ou Vargas Llosa, des meetings de soutien à la dissidence cubaine, dire et répéter qu’un régime qui jette un Raul Rivero en prison parce qu’il s’obstine, dans ses poèmes, à « distordre la réalité » est un régime strictement fasciste.

Et puis il faut, surtout, parler et parler encore – épeler inlassablement, comme nous le fîmes jadis pour Armando Valladares, les noms de Marta Beatrix Roque, Carlos Brizuela Yera, Lester Tellez Castro, Ricardo Gonzalez : je ne peux, hélas, tous les citer ; les noms, tous les noms, sont sur le site de RSF – il suffit de s’y porter.

L’espoir de Fidel est de perpétrer ses crimes dans l’indifférence et le silence. A nous de lui donner tort. Comme ici.


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