Les auteurs de la vague d’attentats-suicides de samedi et dimanche en Israël ne sont pas des combattants, mais des tueurs. Ce ne sont pas les militants d’une cause s’en prenant aux emblèmes d’un Etat honni, mais des hommes dont le seul but est de tuer des civils, encore et toujours des civils. Ils ne sont pas hostiles, ces hommes, à tel ou tel aspect de la politique israélienne et ne sont pas en train, par la force, de tenter d’en imposer une autre : ils haïssent Israël comme tel, ils le refusent et le réprouvent en bloc. Ils ne sont même pas, comme on dit souvent, des « désespérés » que l’intransigeance politique de Sharon, la multiplication des colonies, l’humiliation historique de la nation arabe ou palestinienne auraient fini par pousser à bout : ce sont, comme Ben Laden, comme les fanatiques d’Al-Qaeda, des amants de la mort pour la mort convaincus que, par le meurtre, ils iront au paradis. Vouloir un Etat palestinien est une chose : j’y suis, pour ma part, favorable depuis toujours. Vouloir l’apocalypse, penser, comme le leader du Hamas, Cheikh Ahmed Yassine, qu’Israël est « un corps intrus qui a été imposé de force et sera enlevé de force » (Le Figaro du 15 octobre 2000) est une autre chose : et confondre ceci et cela, établir le moindre lien entre les deux ordres est une injure, non seulement à Israël, mais à ceux des Palestiniens qui aspirent à un Etat laïque sur l’autre moitié de la Terre sainte. Al-Qaeda et Hamas, même combat. On ne peut pas accepter l’idée d’une guerre au terrorisme en Afghanistan et la refuser en Palestine.

On peut penser tout le mal que l’on veut de la politique d’Ariel Sharon. On peut débattre de la façon dont Tsahal riposte, depuis quinze mois, à la deuxième Intifada. On peut surtout – c’est mon cas – juger absurde et périlleux le pari sur un traitement purement militaire du problème palestinien. L’idée même de faire un parallèle entre les militaires israéliens et les bombes humaines palestiniennes, entre Sharon et le Hamas, l’idée de renvoyer dos à dos, selon la formule consacrée, « toutes les violences, d’où qu’elles viennent », est une idée obscène et qui tourne le dos, pour le coup, à tout ce que le 11 septembre et la suite sont censés nous avoir appris. Pas de symétrie, non, entre combat politique et extase de la mort. Pas d’équivalence entre l’action (fût-elle erronée) d’un gouvernement démocratique, démocratiquement élu pour assurer, notamment, la sécurité de ses citoyens, et la haine d’une secte d’assassins (fût-elle plébiscitée par une fraction hélas croissante de l’opinion palestinienne) qui ne se soucie que de tuer. Pas de commune mesure, en d’autres termes, entre les liquidations ciblées, les balles perdues ou les bombardements des uns et l’assassinat aveugle d’adolescents dont le seul crime est d’être nés juifs et de s’être trouvés, ce soir-là, dans la rue Ben Yehuda, à Jérusalem. La presse est dans son rôle quand elle pointe, sans se lasser, les fautes et les bavures de Tsahal. Les gouvernements occidentaux sont dans le leur quand ils admonestent toutes les parties et tentent d’imposer leur médiation. Mais encore faut-il, d’un côté comme de l’autre, veiller à la probité des mots. Encore faut-il, pour que les mots aient un poids, commencer par leur donner un sens et, donc, appeler un chat un chat. Encore faut-il, une bonne fois, rompre avec le discours convenu – pur asile d’ignorance, abécédaire du préjugé – sur cette violence « venue des deux bords », cet « engrenage » de la colère, cette « spirale de la haine et du crime », etc.

Arafat, enfin. Je n’ai pas d’information particulière sur le double jeu d’Arafat. J’ignore si les milices armées du Fatah sont toujours, comme je l’ai vu à Ramallah l’année dernière, au coude-à-coude avec les gens du Hamas. Et la question, au point où nous en sommes, n’est même plus de savoir si le président de l’Autorité palestinienne a sciemment ou non, au début de l’Intifada, fait sortir de leurs prisons les 112 islamistes chez qui se recrutent les kamikazes d’aujourd’hui. La question, la seule question, est de savoir s’il aura maintenant le courage de réparer l’erreur. La question, la seule question, est de savoir s’il lui est encore possible de faire ce que n’importe quel chef politique digne de ce nom ferait dans sa situation : dissoudre le Hamas et le Djihad islamique, arrêter d’urgence Cheikh Ahmed Yassine, empêcher de nuire des aspirants kamikazes qui nous annoncent eux-mêmes que le carnage ne fait que commencer. Ce n’est pas l’intérêt du seul Israël, c’est le sien. Ce n’est pas, comme le disent les commentateurs pressés, une demande de l’Etat juif, le prenant dans l’étau de ses exigences, c’est la condition de sa propre survie politique. De deux choses l’une. Ou bien le vieux leader fait le partage entre ce qui relève du combat politique et ce qui relève du meurtre, et il rétablira une « Autorité » que la montée en puissance de ses adversaires vide, pour l’heure, de tout contenu. Ou bien il ne le fait pas, et il prendra la terrible responsabilité de plonger, non seulement Israël, mais son peuple et, au-delà de son peuple, la région, dans le chaos et l’horreur.


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