En septembre 1971, Bernard-Henri Lévy écrit à André Malraux après son appel pour le Bengale libre. Parmi les autres jeunes figures importantes à avoir écrit à Malraux dans ses dernières années, et notamment en 1975, je veux citer les noms de Régis Debray et de Pierre Goldman, pour lequel le vieil écrivain était intervenu auprès du premier président de la Cour de Cassation, à la veille de la révision de son procès.
La lettre de Bernard-Henri Lévy, comme il le rappelle en détail dans le long texte qu’il a écrit pour le Dictionnaire Malraux que j’ai initié et co-dirigé, fait suite au quiproquo par lequel l’écrivain, invité par Indira Gandhi à une conférence internationale sur le Bangladesh (Bengale libre) en septembre 1971, avait répondu que « les seuls intellectuels qui ont le droit de défendre par la parole les Bengalis sont ceux qui sont prêts à combattre pour eux » (France-Soir, 18 septembre 1971). Une immense vague de fond vient de se lever en France et dans le monde : André Malraux décide de s’engager pour le Bangladesh.
Un jeune agrégé de philosophie, Bernard-Henri Lévy, écrit donc le 21 septembre 1971 à André Malraux cette unique lettre qu’il lui adressa, et que je me réjouis d’avoir arrachée à l’oubli.
Je veux insister maintenant sur l’intérêt que la lettre de Bernard provoqua chez Malraux. L’original de la lettre avait trois notes ou paperoles manuscrites à l’attention de Corinne de Vilmorin, qui assurait entre 1969 et 1971 son secrétariat (avant que Sophie ne partage la vie de Malraux).
Sur la première note, Malraux a écrit en rouge, à réception de la lettre : « Je crois qu’il faut adapter la lettre traditionnelle. Si ça vous paraît diabolique, passez-la moi avec ce texte ».
Puis au crayon noir, en dessous, il ajouta : « Personne avant décision de départ », pour signifier qu’il ne voulait recevoir personne. L’adjectif « diabolique » est à relier à la phrase de Bernard : « Je suis de cette génération qui ne parvient pas à exorciser ses démons ; et vous êtes, une fois encore, un de nos démons. »
Sans doute le lendemain, Malraux reprend la lettre et y ajoute une deuxième paperole : « A me rendre. Nous verrons ce que nous répondrons, mais nous n’avons pas de temps à perdre avec Combat. » Corinne de Vilmorin ajoute, en dessous, cette question : « que dois-je faire ? » Et c’est alors que Malraux lui remet un message, le troisième : « Me rendre la lettre du type de Combat (Lévy). Peut-être faut-il voir un peu ».
Le reste, Bernard-Henri Lévy le raconte dans son article vibrant du Dictionnaire Malraux. Ce qui est curieux c’est le sérieux avec lequel Malraux considéra la missive de ce jeune agrégé, normalien, et déjà faisant œuvre de journaliste engagé. Il ne pouvait évidemment rien prévoir de ce que deviendrait « BHL », encore moins qu’il prendrait à son tour le risques d’incarner l’« un de nos démons ».
Malraux le reçut dans les jours suivants. Dans son texte, Bernard écrit : « J’avais reçu, presque aussitôt, rue d’Ulm, punaisé sur le grand panneau de liège où les Normaliens voyaient arriver leurs messages les plus urgents, un télégramme laconique mais que je conserve comme une relique : « candidature reçue et retenue ; prière contacter sans délai secrétariat AM ». Et me voilà dans le petit salon, de plain-pied avec le jardin […] en train de lui dire mon enthousiasme et, surtout, de l’observer et de l’écouter » (cf. Dictionnaire, p. 64-73).
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