Des nouvelles d’Ingrid Betancourt ?

Mais oui !

Enfin !

Pour la première fois depuis cinq ans, un journaliste (Michel Peyrard, pour Paris Match) arrive au plus près de son lieu de détention ; des signes (incertains mais concordants) indiquent qu’elle est, grâce au ciel, toujours en vie ; et, surtout, surtout, une volonté forte (celle de Nicolas Sarkozy) semble faire de sa libération une urgence diplomatique et politique.

Ce n’est pas ici, naturellement, que l’on boudera l’heureuse nouvelle.

Mais on rappellera juste deux ou trois choses dont on aimerait qu’elles restent dans les esprits en ces temps d’euphorie « médiatrice » où l’on va, maintenant, très vite entrer.

D’abord les FARC. Ce sont les FARC qui détiennent Ingrid Betancourt et son assistante Clara Rojas – et c’est donc avec les FARC qu’il faut, inévitablement, négocier. Mais négocier est une chose et se laisser berner en est une autre. Or il se trouve que j’ai, il y a six ans, je le rappelle une fois encore, réalisé pour Le Monde (2 juin 2001) un reportage à San Vicente del Caguan, là même où l’ancienne candidate à la présidentielle a été capturée et où elle est sans doute, aujourd’hui encore, détenue. J’ai, à cette occasion, rencontré des combattants ainsi qu’un certain nombre de dirigeants de l’organisation, à commencer par Ivan Rios. Et la seule chose que je voudrais, c’est que, dans les commentaires diplomatiques et surtout journalistiques qui vont se multiplier, on perde l’habitude de qualifier de « marxiste », ou de « révolutionnaire », ou même d’« inspiration » marxiste ou révolutionnaire une organisation qui est juste devenue un gang de narcotrafiquants où l’idéologie n’est plus qu’un paravent, un alibi et peut-être, chez les plus anciens, l’objet d’une vague nostalgie. Manuel Marulanda, le parrain des FARC, est un bandit. Un tueur. C’est un homme qui pratique l’extorsion de fonds, le meurtre à grande échelle et, naturellement, l’enlèvement sans s’embarrasser des justifications doctrinales que lui prête encore, paresseusement, la presse occidentale. Et j’ai moi-même, à l’époque, rapporté le cas d’un village, Quebrada Nain, au bord du rio Sinu, dans l’État de Cordoba, où ses hommes s’étaient rendus coupables de crimes d’une férocité inouïe, gratuite, et qui ne pouvaient se comparer qu’à ceux que venaient de commettre, au même endroit, quelques jours plus tôt, leurs jumeaux des Forces paramilitaires, d’obédience, elles, clairement fasciste. Cela ne change rien, encore une fois, à la nécessité de parler avec eux. Mais cela devrait faire – du moins, je l’espère – que l’on y regarde à deux fois avant de concéder à ces mafieux, en échange de leur bonne volonté, la zone démilitarisée qu’ils demandent dans les municipalités de Pradera et Florida.

Ensuite Chavez. C’est sur Hugo Chavez que l’on compte, semble-t-il, pour s’entremettre dans la négociation qui s’annonce. Là encore, pourquoi pas ? Et, si le président vénézuélien a des contacts privilégiés avec « le plus vieux guérillero du monde », ne serait-il pas absurde, irresponsable même, de s’en priver ? Sauf que non moins irresponsable serait d’oublier, au passage, qui est Hugo Chavez. Non moins absurde, navrant et, pour tout dire, désastreux serait de le voir acquérir, en la circonstance, l’aura et la respectabilité internationales dont ses prises de position l’avaient, jusqu’à présent, légitimement privé. Il ne faudra pas oublier, le moment venu, le parfum de pouvoir personnel qui flotte, avec de plus en plus d’insistance, autour de ce mixte de péronisme, de castrisme et, parfois, de quasi-fascisme qu’est en train de devenir son régime. Il ne faudra pas oublier les « régions spéciales militaires » que ce Caudillo d’un nouveau genre aura, à partir de décembre, le pouvoir d’instaurer où bon lui semblera. Il ne faudra pas oublier la remise en question de l’indépendance de la banque centrale (conquête récente, mais fragile, des démocraties d’Amérique latine) ainsi que les entorses, de plus en plus nombreuses, à la liberté de la presse, à la liberté d’émettre pour les médias audiovisuels, aux droits de l’homme (fustigées, et documentées, par tous les observateurs indépendants). Il ne faudra pas oublier que ce « président des pauvres », assis sur les milliards de dollars de son pétrole, est l’un des alliés les plus sûrs de l’autre grand « pétroterroriste », l’Iranien Ahmadinejad. Ni qu’il a reçu, après Roger Garaudy, Louis Farrakhan, le président malaisien Mahathir ibn Mohamad et quelques autres, le « Prix Kadhafi (sic !) 2004 des droits de l’homme ». Ni que l’un des inspirateurs de cette « post-démocratie » à laquelle il veut attacher son nom et qui sera, dit-il, « plus puissante qu’un missile nucléaire », fut le négationniste, élève de Faurisson, Norberto Ceresole. Ni enfin que Chavez lui-même est l’auteur de subtiles déclarations sur l’accaparement des « richesses du monde » par « les descendants de ceux qui ont tué le Christ »…

Tout le monde sait cela. Je le rappelle à toutes fins utiles. Histoire de rafraîchir les mémoires. Et au cas où il prendrait à certains l’idée d’échanger la liberté d’Ingrid Betancourt contre, par exemple, une petite centrale nucléaire.


Autres contenus sur ces thèmes