Il est rare, vraiment très rare, de voir une même problématique reconduite, sur la distance d’un siècle, sans que ses termes changent.

Cela n’arrive jamais dans l’histoire des sciences.

Cela n’arrive même pas en philosophie où le problème de la Nature, de l’Âme ou du Temps ne se pose plus tout à fait de la même façon au début du XXIe et du XXe siècle.

En politique, sans doute y a-t-il des constantes, des familles d’esprit, des sensibilités pérennes qui traversent les époques – mais on voit bien que la distinction des « trois droites », par exemple, a quand même fini par vieillir et ne plus tout à fait rendre compte de la sorte de débat qui oppose Bayrou, Villiers, Villepin et Sarkozy.

En sorte qu’il n’y a finalement qu’à gauche et, à gauche, au sein du parti socialiste que l’on a le sentiment que rien, ou presque rien, ne bouge – il n’y a que là, dans les combats de chefs autour du fauteuil de François Hollande et du sceptre de François Mitterrand que l’on a le sentiment d’un temps immobile où l’on en serait encore, un siècle après, à se rejouer pour la énième fois le même éternel affrontement de Jean Jaurès et de Jules Guesde.

On ne connaît pas assez Jules Guesde, en France.

Ou, plus exactement, on ne sait pas assez combien le socialisme national et autoritaire, positiviste et sectaire, pseudo révolutionnaire et, en réalité, patriote, chauvin, voire xénophobe, de l’homme qui, à la fin du XIXe, prétendait acclimater le marxisme au pays de Joseph Proudhon, a pesé et continue de peser sur le débat idéologique.

J’observe l’évolution des partisans du « non » depuis le désastreux référendum d’avril.

J’observe Henri Emmanuelli avec sa tête de gargouille de cathédrale, figée dans sa niche pour l’éternité, rappelant aux militants les articles de la vraie foi.

J’écoute Arnaud Montebourg, avec ses airs de faux Gavroche louchant vers Rastignac, exhortant les militants à une refondation dont le caractère incantatoire, comme jadis chez Guy Mollet, ne parvient pas à masquer le vide de pensée.

Je vois Laurent Fabius tout à sa tentative de séduire une gauche de la gauche dont il ne paraît pas vouloir comprendre qu’elle lui est définitivement, ontologiquement, presque physiologiquement, hostile – ah ! la navrante image de ce jeune délégué « noniste » à l’Université d’été de La Rochelle à qui un journaliste demande quel effet cela lui fait d’être « sur la ligne » de l’ancien Premier ministre et qui répond, goguenard, très petite frappe se payant le grand bourgeois, que c’est lui, l’Ex, qui vient au Canossa de la mouvance antilibérale.

Je regarde Besancenot, ce jeune pour vieux, chéri des sondages et donc de tous les opportunistes – je l’observe, avec son visage poupon, lunaire et faussement ingénu, avec cet œil perpétuellement étonné dont un conseiller en communication a dû lui souffler qu’il aura l’avantage d’injecter un peu de fraîcheur dans un discours rance, vieux comme le siècle et ses scies les plus usées.

Et puis Monsieur Mélenchon, cet internationaliste phobique du plombier polonais.

Et puis Madame Buffet avec son côté pourvu que rien ne change, que plus personne ne bouge et que revienne le bon temps du Programme commun – vous avez raté Waldeck et Marchais, mais vous avez encore une chance de vous laisser rattraper par leurs clones altermondialistes.

Et puis le chanoine gaulois, José Bové, attendant son heure pour, entre deux manifestations de souverainisme paysan, tenter de rafler la mise de tous les « idiots utiles » qui, d’un bord à l’autre du spectre idéologique, jouent la rupture avec un libéralisme devenu, comme chacun sait, synonyme de crime contre l’humanité.

Je reviendrai sur tout cela, bien entendu.

J’aurai maintes occasions de redire comment on crache, ce faisant, sur tout un pan de la mémoire populaire, voire révolutionnaire, européenne qui s’est incarnée, au temps du printemps des peuples français, allemand et italien, dans ce beau mot de « libéralisme ».

Je note juste, pour le moment, qu’il y a dans ce climat, un siècle après la victoire, en 1905, des guesdistes sur les jauressistes, un étrange parfum de remake.

Je note que ce faux radicalisme, dont le vrai message est, justement, que rien ne doit plus advenir, répète assez fidèlement l’équation d’un guesdisme qui fut, et continue d’être, la calamité de notre socialisme.

Je dis, en d’autres termes, que ce serait un désastre, pour la gauche, de voir ces tenants de « l’Idéologie française » l’emporter une fois de plus sur la tradition social-démocrate, donc réformatrice, donc authentiquement progressiste, qu’illustrait encore, samedi, le beau texte de Pascal Lamy publié par Le Monde 2.

Et c’est pourquoi je donne raison, non seulement à Rocard et Kouchner quand ils envisagent l’hypothèse d’une scission, mais à un certain Maurice Clavel dont le nom ne dit peut-être plus grand-chose aux amnésiques de la « jeune garde » du PS et qui, à l’époque où l’extrême gauche avait une autre allure et surtout un autre style, posa le théorème dont nous ne sommes, trente ans plus tard, pas sortis : « pour vaincre la droite, il faut commencer par casser la gauche ».


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