Je suis loin d’être un expert de l’Ukraine. Je la découvre, en bonne partie, à cause de cette guerre d’agression que lui livre un Vladimir Poutine enragé. En tant que fidèle lecteur de l’œuvre de Bernard-Henri Lévy (BHL), toutefois, je suis aux premières loges pour assister au calvaire des Ukrainiens depuis 2014, date à laquelle une révolution pro-européenne a changé le cours des choses dans ce pays.
On peut penser ce qu’on veut de BHL, et je sais que certains lecteurs du Devoir n’en pensent pas beaucoup de bien, mais l’honnêteté impose de reconnaître que, depuis des années, l’écrivain activiste a été l’un des plus ardents défenseurs de l’Ukraine agressée par la Russie, alors que le monde préférait détourner le regard. C’est à lui que je dois l’essentiel de ce que je sais sur ce peuple martyr.
Dans Qui a peur du XXIe siècle ? (Le livre de poche, 2017), le tome XIII de sa série Questions de principe, BHL consacre environ une centaine de pages à la situation ukrainienne depuis 2014. Ces douze textes, regroupés sous le titre de section « Avec les Ukrainiens », que je reprends ici, sont prophétiques.
En février et mars 2014, BHL prononce deux discours sur la place du Maïdan, à Kiev, pour appuyer la révolution en cours. « Vous avez, peuple du Maïdan, un rêve qui vous unit — et votre rêve, c’est l’Europe. Pas l’Europe des comptables, l’Europe des valeurs. Pas l’Europe des bureaucrates, l’Europe de l’esprit. » Déjà, à l’époque, la Russie de Poutine s’agite. C’est son fantoche ukrainien, Viktor Ianoukovitch, que les contestataires veulent renverser. « L’Europe, continue BHL, doit protéger l’Ukraine. » Ne pas le faire équivaudrait à tourner le dos à sa substance.
Les mois qui suivent annoncent l’agression russe en cours. En mars 2014, la République de Crimée, territoire ukrainien depuis 1954, déclare son indépendance et son rattachement à la Russie. En avril, une guerre civile éclate dans le Donbass, une région majoritairement russophone de l’est du pays, entre le gouvernement ukrainien et des séparatistes prorusses appuyés par Poutine, qui affirme déjà vouloir protéger ses frères russes d’Ukraine contre les « nazis » à la tête du pays. Ce conflit, jamais terminé, aurait fait au moins 13 000 morts. « Et, quant à nous, Occidentaux insoucieux, cette guerre oubliée d’Ukraine, écrivait BHL dans Sur la route des hommes sans nom (Grasset, 2021), sa tragédie au goutte-à-goutte […] devraient être notre remords. »
BHL, ces jours-ci, s’active sans relâche à la défense des Ukrainiens, notamment sur le site de sa revue La Règle du Jeu. En 2014, il osait même établir un parallèle entre Hitler et Poutine. Ce dernier, en effet, comme le premier, se comporte en « bandit » en éliminant ses opposants politiques. Il utilise, de plus, une stratégie d’action extérieure semblable à celle d’Hitler, en mettant en œuvre un impérialisme brutal — en Géorgie en 2008, en Crimée en 2014, dans toute l’Ukraine aujourd’hui —, qu’il justifie par un discours de légitime défense — contre une OTAN présumée envahisseuse — et par la nécessité de secourir les minorités russophones menacées par les « assassins fascistes » au pouvoir en Ukraine.
L’idéologie poutinienne, enfin, un « eurasisme » inspiré par l’intellectuel russe d’extrême droite Alexandre Douguine, vise la reconstitution d’un ensemble géopolitique incluant la Russie, le Kazakhstan, la Biélorussie et l’Ukraine pour réparer la dissolution de l’Union soviétique et s’opposer à l’Occident démocratique.
Folie, que cette comparaison entre Poutine et Hitler ? Dans Le Devoir du 7 mars dernier, François Brousseau, en tout cas, la reprend. Poutine ne prône pas l’extermination des juifs, ce qui est une différence fondamentale, mais son discours victimaire, servant à justifier ses agressions, son esprit de revanche historique et sa conviction d’être dans son plein droit en annexant les régions d’autres pays où vivent des minorités russophones ont des accents hitlériens, conclut Brousseau.
Poutine est faible, écrivait pourtant BHL en 2014, et l’Occident est fort. Peut-être, mais que faire pour être pleinement avec les Ukrainiens sans empirer la situation ? Pour le géopolitologue français Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Poutine, qui souhaitait défendre l’intérêt national russe en rapprochant l’Ukraine de son pays, en divisant l’Europe et en fragilisant l’OTAN, a tout raté puisqu’il n’est parvenu, pour le moment, qu’à obtenir l’exact contraire, écrit Boniface dans son édito du 1er mars sur le site de l’IRIS. Même les Russes sont en voie de se tourner contre lui.
Pendant ce temps, toutefois, des Ukrainiens innocents et de jeunes soldats russes meurent pour une folie. L’Occident ne doit pas ajouter du sang au sang, mais doit faire tout ce qu’il peut pour imposer un cessez-le-feu total.
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