JÉRÔME BÉGLÉ : Qu’est-ce que Looking For Europe, ce texte théâtral que vous avez vous-même interprété, lundi soir, au Public Theater, sur Broadway ?

BERNARD-HENRI LÉVY : C’est un texte issu, si j’ose dire, de Hôtel Europe, une pièce que j’avais écrite en 2014 et qu’avait créée Jacques Weber à Sarajevo, puis au théâtre de la Fenice de Venise. Mais la pièce a été complètement réécrite. Elle parle d’aujourd’hui, 2018, Trump, Poutine, le club des amateurs de testostérone, la crise de l’Europe, Emmanuel Macron, Asia Bibi, Erdogan, les Kurdes, le munichisme occidental en Syrie et comment l’Amérique n’est vraiment elle-même que lorsqu’elle se conçoit et se vit comme une Europe recommencée – en mieux. Pour moi, l’une des vocations du théâtre est cette intervention directe dans les affaires de la Cité.

Comment est venue l’idée ?

Elle est venue du Public Theater et de son directeur Oskar Eustis. Juste après que j’aie joué, au Cadogan Hall, à Londres, une version précédente du texte qui s’appelait alors : Last Exit Before Brexit. J’ai immédiatement accepté. Le Public Theater, pour moi, était un rêve d’adolescent. C’est l’endroit où, il y a 50 ans, a été créée Hair. Grand prestige. Grand honneur. Grande joie. Et sur scène, je dois dire, grande et vive émotion.

Pourquoi ?

La circonstance, d’abord. Ou plutôt la double circonstance. On était à quelques heures des midterms, d’abord. La salle était survoltée. Et puis le hasard du calendrier et de la programmation a aussi fait que ça tombait, pile, le jour de mon anniversaire. Je ne suis, en principe, pas très « fan » de le fêter. Mais il y avait là, du coup, quelque chose qui ressemblait à un escamotage au douzième degré. J’ai adoré cela. Et puis, autre chose. Je fais partie des écrivains tendance gueuloir. Je veux dire : ceux qui, comme Flaubert, écrivent à voix haute. Alors cette expérience-là, cette façon de porter soi-même son texte, de le gueuler, de l’incarner, de lui donner corps et de faire corps avec lui était une aventure littéraire assez extraordinaire. Quand le verbe se fait chair… Ou y retourne…

Comment a réagi le public new-yorkais ?

On verra la critique. La salle, en tout cas, semblait en phase avec mon texte et mon message. Il faut dire que nous étions, encore une fois, à quelques heures du vote, si décisif, des midterms. Qu’adviendra-t-il de celui que j’appelle, dans la pièce, Baby Trump ? La gauche démocrate se reprendra-t-elle et retrouvera-t-elle, surtout, sa voix ? Et d’où vient le sentiment qu’elle est, cette nouvelle gauche américaine, parfois aussi bête que la droite ? Ce sont les questions que je me pose. Le public paraissait à l’unisson.


Autres contenus sur ces thèmes