Avec ses amis, des intellectuels comme lui, il regarde la télévision installée au pied de son lit. Il suit, jour après jour, l’actualité de la guerre du Golfe à travers le petit écran. C’est justement par l’image qu’il a choisi de raconter les intellectuels dans l’histoire du XXe siècle. Antenne 2, mais aussi Télé-Images, lui ont fait confiance. Les Aventures de la liberté, une série de quatre émissions, s’annonce comme un événement.

Dans sa revue de « détails » d’un siècle de culture, Bernard-Henri Lévy montre un Barrès antisémite, un Péguy adversaire de la démocratie et chantre de la guerre, un Romain Rolland pacifiste en 14 puis admirateur de Staline, des intellectuels qui ne voient ni les camps de concentration, ni les goulags, un Malraux pro-républicain qui se tait pendant la guerre d’Espagne sur le massacre des anarchistes avant de devenir ministre gaulliste, un Sartre défenseur des Palestiniens après l’attentat des jeux Olympiques de Munich, un Michel Foucault aux côtés de Khomeiny.

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Vos Aventures de la liberté pourraient s’appeler plutôt les « Mésaventures de la liberté ». Quelle succession d’erreurs, de la part de ces intellectuels !

Il y a deux sortes d’erreurs. Celles qui relèvent de l’infamie, comme celle de Brasillach appelant à l’extermination des Juifs, « y compris les enfants », par exemple, et celles qui résultent d’aveuglements qui, étrangement, peuvent se révéler parfois féconds. Ainsi, par exemple, au bout du gauchisme d’après 68 et de sa variante maoïste, il y a l’adieu au communisme et au goulag, et le souci des droits de l’Homme.

C’est tout de même très inquiétant.

La France est un drôle de pays où l’égarement fait partie de la légende. Il faut tout de même rappeler que ces mêmes intellectuels, qui se sont fourvoyés, ont été l’honneur de leur temps. Au moment de l’affaire Dreyfus, de la guerre d’Algérie ou des dissidents. La véritable erreur consiste à dire qu’il y a les bons d’un côté et, de l’autre, les méchants. Ce sont les mêmes. On ne peut pas juger, non plus, hier avec les préjugés d’aujourd’hui. Je n’ai pas cherché à m’ériger en procureur, à accumuler les griefs. Ce que j’ai cherché à comprendre, c’est pourquoi et comment ils se sont comportés. J’ai voulu entrer dans la tête de ces acteurs, souvent hors du commun, souvent géniaux, et qui se sont pourtant fourvoyés. Pour moi, cette série d’émissions est une façon comme une autre de faire le point sur mon parcours. D’y voir clair dans mon cheminement intellectuel.

Vous avouez déjà vos erreurs !

J’ai commis des erreurs de jugements. J’ai beaucoup surpris ma fille Justine quand je lui ai avoué qu’à l’époque du Bangladesh, je trouvais tout naturel de voir les maoïstes locaux sacrifier, tuer les propriétaires fonciers de la région de Calcutta sur l’autel de la pureté… Je me souviens d’un certain « Grand échiquier » où j’affirmais être quelqu’un qui ne « changeait pas de fréquence » en passant de la mode à la philosophie, de la littérature au journalisme. Aujourd’hui, je n’aurais plus honte d’affirmer la diversité de mes goûts. Mais pas d’erreurs impardonnables et toujours des incertitudes…

Qui vous retiendront désormais de vous prononcer sur l’actualité.

À chaud certainement. J’ai refusé de me trouver à 20h à la télévision pour commenter les affaires du Golfe. La précipitation, la hâte ne permettent pas le recul nécessaire pour prendre la mesure d’événements qui, s’ils sont gravissimes, ne sont pas la fin de l’Histoire.

Vous pensez ainsi éviter les erreurs graves ?

Je pense qu’il en est que nous ne commettons plus. Comme l’idée qu’il faut ouvrir des camps pour sauver le genre humain ou déplacer les villes à la campagne. Mais le champ des possibles erreurs futures est infini.

Ce n’est pas réconfortant. Pour éviter le pire ?

Se guérir de cette folle envie de pureté qui, selon moi, est une maladie majeure du XXe siècle, puisque c’est au nom de cette pureté que se sont élaborés les totalitarismes. Se méfier aussi d’une certaine fascination, pour la jeunesse, pour la religiosité, d’un terrorisme dont force est de constater aujourd’hui, qu’il ne résout aucun problème.


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