À la Biennale d’art de Venise, qui a lieu jusqu’au 21 novembre, l’artiste italien Francesco Vezzoli, né en 1971, projette une vidéo intitulée Democrazy. Comme le jeu de mots l’indique (entre démocratie et folie), elle donne la mesure du pouvoir d’une image maîtrisée dans une campagne électorale. A travers deux clips conçus par des conseillers, deux candidats s’affrontent pour la présidentielle américaine de 2008 : l’actrice Sharon Stone et le philosophe Bernard-Henri Lévy. Trois protagonistes du projet s’expliquent : l’artiste, Bernard-Henri Lévy, et le coach de ce dernier, Jim Mulhall, un des conseillers médias de Bill Clinton en 1996.

Comment est né ce projet ?

FRANCESCO VEZZOLI : En devenant maire de New York, Michael Bloomberg a démontré qu’il suffit de mettre suffisamment d’argent pour créer la plus étonnante des campagnes. J’ai contacté Mark McKinnon, qui a travaillé pour George W. Bush, et Jim Mulhall pour qu’ils acceptent de promouvoir mes candidats.

JIM MULHALL : J’ai été très enthousiasmé par ce projet. Vous savez, entre chaque élection, on n’a pas grand-chose à faire…

F.V. : Je voulais aussi deux acteurs qui aient du sens. Pour moi, Bernard est une icône de la philosophie. Il fallait une figure réellement médiatique.

BERNARD-HENRI LÉVY : J’ai été heureux de la proposition. Parce que je sortais d’une longue enquête là-dessus… American Vertigo (éditions Grasset), ce n’est rien d’autre… J’avais passé un an à essayer de comprendre comment marchait la démocratie américaine, et un artiste talentueux me propose de rentrer dans l’envers du décor, non plus comme un analyste, mais comme un acteur. C’est comme un post-scriptum à American Vertigo. En une minute, il explique Berlusconi, Sarkozy et naturellement la politique américaine. C’est le pouvoir d’une œuvre d’art.

Et le pouvoir des conseillers médias ?

B.-H. L. : J’ai appris beaucoup, notamment sur leur professionnalisme. On croit en France que les politiques américains sont des marionnettes entre les mains de ces firmes. Le rapport me paraît beaucoup plus complexe. Surtout comparé à la France, où nous avons un type qui s’appelle Henri Guaino, qui se présente comme « plume du président »… En Amérique, c’est moins caricatural : il y a un vrai rapport de discussion, un vrai enrichissement. Ce n’est pas un travail de ventriloque. Les conseillers proposent, écoutent, rectifient en fonction du candidat… C’est très intéressant.

Pensez-vous que Bernard-Henri Lévy soit un candidat crédible ?

J. M. : Oui. Au cours de notre travail, il s’est avéré très proche d’un candidat réel. Nous nous sommes placés dans le contexte d’une vraie campagne. Aux États-Unis, quand un candidat se lance, on lui explique en quoi va consister la course. C’est ce qu’on a essayé de faire avec Bernard : « OK, tu veux être président, voilà ce que tu dois faire pour plaire aux électeurs américains. » En même temps, c’était bien d’avoir le regard de Francesco sur la manière dont on conduit une campagne politique. Un œil critique, c’était important pour nous.

B.-H. L. : Vous m’avez demandé beaucoup de photos, et vous n’en avez retenu que quelques-unes. Avec le commandant Massoud, avec Mitterrand, avec le pape… Comment s’est fait le choix ? Quel était le critère ?

J. M. : Un président américain doit organiser sa biographie pour qu’elle fasse sens. On a choisi des images très spécifiques, qui caractérisent un candidat démocrate moderne pour conduire une Amérique moderne. L’opposition à la guerre en Irak, mais en étant fort et sans concession sur la sécurité, pour ne pas laisser aux républicains le monopole du drapeau. Bernard a certains points dans sa biographie qui rappellent ces valeurs.

B.-H. L. : Mais pourquoi le pape ? Les catholiques sont minoritaires en Amérique…

J. M. : Le plus déterminant, ce n’est pas tant une religion spécifique. Les candidats sont jugés comme des individus, plus que sur leur programme. En voyant ces photos, on se dit : c’est le genre de personne qui rencontre le pape. Qui a constaté sur le terrain les ravages du terrorisme au Pakistan. Avec une expérience du leadership… Tout ça doit passer dans un clip de soixante secondes. Mais soyons clairs : si je travaillais pour Sharon Stone, je serais tout aussi capable de trouver des photos de Bernard qui troubleraient les électeurs américains dans le mauvais sens.


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