Liste noire contre liste noire. La guerre froide entre l’Union européenne et la Russie se poursuit, au-delà des sanctions économiques, par une restriction de la libre-circulation des hommes. Moscou a émis vendredi une liste de personnalités politiques européennes – 89 personnes au total selon Bruxelles – ne pouvant plus entrer sur le territoire russe, en riposte aux sanctions de l’UE.
« La Russie a remis hier à plusieurs ambassades européennes une liste de personnes qui ne peuvent plus entrer sur le territoire russe », a annoncé vendredi le Premier ministre néerlandais Mark Rutte lors d’une conférence de presse. Il a précisé que deux membres du parlement néerlandais et un membre néerlandais du parlement européen figuraient sur cette liste. Libération a mis en ligne l’intégralité de la liste sur son site.
Quatre Français y figurent : l’intellectuel Bernard-Henri Lévy, Henri Malosse, président du Comité économique et social européen, le patron des députés socialistes Bruno Le Roux ainsi que Daniel Cohn-Bendit, ancien eurodéputé qui vient d’obtenir la nationalité française. « Je trouve ça très drôle », a déclaré ce dernier à Reuters.
« Ça correspond au régime poutinesque, ça aurait été vraiment triste que Poutine me considère comme son ami », a-t-il ajouté, estimant figurer sur cette liste en raison de ses positions critiques envers le régime de Vladimir Poutine. « Je trouve cette histoire hautement significative », réagit pour sa part Bernard-Henri Lévy, contacté par Le Figaro, soulignant que « L’Europe sanctionne les hiérarques de Poutine, militairement et politiquement responsables d’une guerre d’agression contre l’Ukraine, qui fait des milliers de morts. Poutine répond en sanctionnant des démocrates, ennemis de cette guerre terrible, amis du peuple russe et de ses libertés. » « Il y a quelque chose qui est à la fois puéril et inquiétant dans cette démarche. », ajoute le philosophe, qui s’est personnellement engagé aux côtés des insurgés de Maïdan. « J’y vois aussi une sorte de fuite en avant d’un régime perdu par son propre autoritarisme. Et puis, aussi, une forme de punition collective infligée aux Russes eux-même, désormais privés de contact avec des femmes et des hommes dont le seul point commun est de s’être battus, toute leur vie, pour la démocratie en Russie. », conclut-il.
Au total, 89 noms de personnalités européennes, dont ceux d’anciens chefs de gouvernement, de parlementaires et de responsables militaires détracteurs de la politique de la Russie, figurent sur cette liste.
Cette liste se veut une réaction à celle mise en place par l’Union européenne en rétorsion à l’implication russe dans la guerre civile ukrainienne. Au lendemain de l’annexion de la Crimée, les États-Unis et l’UE avaient en effet décidé de sanctionner plusieurs hauts responsables russes et ukrainiens. 151 personnes et 40 entreprises sont actuellement sur cette liste noire établie par Bruxelles et régulièrement mise à jour. Elles sont interdites de visa et ont vu leurs avoirs gelés. Mais contrairement à la liste de l’UE, la liste noire russe n’est pas publique, Moscou ayant demandé à ce qu’elle reste secrète, tout en faisant l’effort de la transmettre aux ambassades concernées.
L’ambassadeur russe auprès de l’UE, Vladimir Tchijov, a confirmé l’existence de cette liste, tout en précisant qu’il ne s’agissait « pas de dirigeants ou de hauts responsables des pays ». « Rien ne nous oblige à rendre publique (cette liste), ni la loi russe, ni les engagements internationaux […] La publication de cette liste de notre part n’aboutirait qu’à une escalade des tensions dans la crise ukrainienne », a affirmé l’ambassadeur.
Une porte-parole de la diplomatie de l’Union européenne a déclaré à l’AFP que la Russie avait refoulé plusieurs responsables politiques européens ces derniers mois, mais avait jusqu’à présent refusé de communiquer une liste des personnes visées. Le président du Sénat polonais avait ainsi été empêché par Moscou d’assister aux obsèques de Boris Nemtsov en mars dernier.
« La liste des 89 noms a désormais été diffusée par les autorités russes. Nous n’avons aucune information sur la base légale, les critères (retenus) et le processus (qui a conduit à la prise) de cette décision », a écrit un porte-parole de la diplomatie européenne dans un communiqué. « Nous considérons cette mesure comme étant totalement arbitraire et injustifiée, surtout en l’absence de toute clarification ultérieure et de transparence », a-t-il ajouté.
Plusieurs hommes politiques européens se sont dit fiers samedi de figurer sur une « liste noire » de la Russie leur interdisant d’entrer sur son territoire, tandis que des pays européens, à commencer par l’Allemagne, ont fortement critiqué cette décision du Kremlin.
« Lorsque j’ai vu les autres noms (sur la liste), j’ai (aussitôt) pensé que je faisais partie d’un club très honorable », a déclaré l’ancien ministre tchèque des Affaires étrangères Karel Schwarzenberg, un aristocrate de 77 ans connu pour ses critiques de la politique de Moscou à l’égard de l’Ukraine. « Trop d’honneur », a tweeté le député néérlandais Mark Demesmaeker.
Parmi les noms figurant sur la liste, on trouve, selon différentes sources, ceux d’hommes et de femmes politiques polonais, suédois, allemands, tchèques, néerlandais, finlandais et belges, parmi lesquels le président du groupe libéral au Parlement européen et ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt et l’ex-président du Parlement européen et ancien chef du gouvernement polonais Jerzy Buzek.
Pour certaines de ces personnalités, être sur la liste est une preuve de l’efficacité de leur action en faveur de l’Ukraine. « Etre sur cette liste ne change pas mon engagement envers le peuple de l’Ukraine », a écrit sur son compte Twitter l’eurodéputée suédoise Anna Maria Corazza Bildt, connue pour ses critiques à l’encontre du président russe.
« Je me sens davantage fière que je n’en ai peur […] La liste de Poutine confirme que je fais bien les choses en tant que parlementaire », a-t-elle ajouté.
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