Il en va des films comme des idées : souvent, ils circulent, diffusent et infusent. À plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un film-idée, d’un film-plaidoyer. De cette circonvolution il faut se réjouir. Quelques mois après sa sortie dans les salles françaises sous le titre Une autre idée du monde, l’œuvre de cinéma engagé de Bernard-Henri Lévy est diffusée à travers les États-Unis. Outre-Atlantique le film est devenu The Will to See, « la volonté de voir ».
Ce qui fut une série de reportages pour le magazine Paris Match, puis un livre, Sur la route des hommes sans nom, et enfin un documentaire déchirant, qui n’est pas sans rappeler les images de Joris Ivens ou du Malraux de Sierra de Teruel et qui laisse le spectateur sans voix. C’est le tour de force de BHL, que de dire cet invisible tragique qui échappe à nos yeux aveuglés jusqu’à la négligence. Et ils étaient nombreux, celles et ceux qui, de Washington au mythique Quad Cinema de Greenwich Village à New York, en passant par la Cité des Anges (et du 7ème art !) jusqu’à San Francisco, ont été ébranlés par le sort des oubliés du monde. Je pense aux chrétiens du Nigéria, aux Rohyingas affamés, aux migrants parqués dans un camp à Lesbos, aux Libyens et aux Somaliens, à ce jeune Massoud et à ses moudjahidines abandonnés dans leur lutte contre les Talibans, mais aussi aux courageuses combattantes et combattants Kurdes. Ma pensée va, enfin, inévitablement – comment dire le sang qui, à ce jour, a recouvert ces images ? – vers les résistants du Donbass face au troufions sanguinaires de Poutine. L’Amérique avait les yeux rivés sur l’Afghanistan tout en se retirant du pays. D’un désastre l’autre, aux temps sombres de l’agression de l’Ukraine par l’Ogre du Kremlin, alors que le nom de Zelensky est sur toutes les lèvres, que les images de Boutcha martyre, de Kiev déserte et des exilés en Pologne sont dans tous les esprits, dans ces heures incertaines, la lucidité et la clairvoyance de The Will to See, sur le front Est de l’Ukraine, troublent aux États-Unis.
Sold out partout où il passe, le film de Bernard-Henri Lévy, œuvre de combat s’il en est, est un succès qui réveille les consciences fatiguées au pays de Roosevelt d’un côté, indigne les esprits attentifs au monde comme il va de l’autre. L’alerte en images de l’activiste mais également l’action du philosophe, puisque ce dernier met à profit la rencontre avec son public pour échanger avec des décisionnaires américains afin de plaider la juste cause du soutien à l’Ukraine, mais aussi, et toujours, des Kurdes par le biais de sa fondation Justice For Kurds. C’est que le philosophe explore une nouvelle fois le maître-concept de sa vie : la Volonté de voir. Il y en eu d’autres, le concept de « Pureté dangereuse », le « Fascislamisme », « l’Idéologie française », la « Réparation », la « Guerre sans l’aimer ». La métamorphose, le temps de traverser un océan, du titre de son film, dit la prédominance de ce concept dans la vie et l’œuvre de Bernard-Henri Lévy : son « idée du monde » repose sur une « volonté de voir », « toujours, d’abord, y aller », dit-il.
Et le public américain a vu, et bien vu, à travers les yeux du cinéaste, le terrain des guerres oubliées. Ce même public américain qui avait accueilli la traduction de son dernier livre – cette « plongée dans les recoins les plus troublés et les plus critiques du monde » déclarait Salman Rushdie – avec le plus vif intérêt, et qui s’était déjà déplacé il y a deux ans dans les cinémas de New York et de Los Angeles pour une rétrospective des précédents films de BHL (Bosna, Le Serment de Tobrouk, Peshmerga et La Bataille de Mossoul), parce que l’Histoire nous rattrape tous, et parce que l’on ne peut plus feindre de ne pas voir ou de ne pas entendre les cris des blessés et des morts aux portes de l’Europe, concède volontiers : « de souffrance en souffrance, les faits ont donné raison à Bernard-Henri Lévy ».
Un succès donc. Une nouvelle actualité pour un film qui s’exporte et qui, tristement, croise l’actualité la plus brûlante de ce monde.
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