Une fascinante aventure intellectuelle

Dans son roman-analyse, il met sur la sellette l’histoire littéraire de l’époque de Baudelaire avec une féroce lucidité. Quand l’imagination est considérée comme une maladie et le visionnaire est traité en vulgaire amateur de fantasmes, au moment où la conception lyrique d’un monde rêvé est considéré comme un symptôme de paranoïa, quelle place reste-t-il à l’esprit ?

Par moments, grâce à son style nu, direct, saccadé et meurtri, Bernard-Henri Lévy établit une rare intimité morale avec le lecteur… On songe à la déchirante simplicité de Gogol. On partage l’agonie de Baudelaire lors de son misérable séjour à Bruxelles. Il est tantôt vu par Lévy, spectateur fiévreux et complice, tantôt aperçu par la concierge qui raconte le comportement de l’étrange locataire ; elle est la vox populi de ce drame antique où, tour à tour, les événements apparemment mineurs sont rapportés par les amis, par quelques critiques littéraires timidement élogieux, par des fidèles ou présumés tels.

L’admirable et écrasante silhouette de Victor Hugo traverse l’arrière-plan, tenue en laisse par sa mégère presque apprivoisée qui, avec ses opinions sans appel, écraserait d’une seule phrase père et mère.

Une règle meurtrière et absolue

Le poète porte l’enfer dans ses entrailles… D’une facette à l’autre, de miroir en miroir, on pénètre dans le dédale de son psychisme, chausse-trappes et mirages se multiplient ; parfois l’écriture devient paludique de passion. Baudelaire n’aurait-il pas désiré être aimé tout simplement ainsi, comme un petit bourgeois ?

« Pour croire à la postérité, pour espérer et concevoir qu’une œuvre nous survive, il fallait miser, selon lui, sur une éternité de l’art, de ses forment, de ses valeurs… Il fallait parier sur une indépendance des œuvres vis-à-vis de l’époque où elles sont nées et où elles ont grandi. »

Bernard-Henri Lévy obéit à cette règle meurtrière et absolue : créer en dehors des normes admises. Ainsi naissent les chefs-d’œuvre parfois reconnus à temps, avant même qu’on prononce le discours funéraire de leur auteur.