Alors là, on ne l’avait pas vu venir. Quand BHL le mégalo en col Mao raconte le Bernard-Henri en peignoir de nuit, rongé par ses insomnies, hanté par ses morts, errant bon an mal an dans son appartement, on aurait presque envie de lui faire un gros câlin, de lui tenir la main pour l’accompagner dans son sommeil. Sans une pléthore de somnifères qui l’assomment, telle une anesthésie.

Si Arielle veille, cherche les mots rassurants comme une mère avec son enfant, BHL redoute ce moment où son esprit est réduit à presque néant. Cet homme qui dort, il ne l’aime pas. Tout simplement parce qu’il ne le contrôle pas. Si quelques internautes se moquent de ses tourments – « il n’a qu’à lire ses propres livres et le sommeil arrivera plus vite que prévu… » –, il faut saluer le courage que cela demande de se déshabiller et de révéler ses failles pour homme à l’ego démesuré, mais totalement assumé.


Joséphine Simon-Michel : Vous approuvez si je vous dis que vous vous êtes mis à nu ?

Bernard-Henri Lévy : C’est un mot que je n’aime pas, mais c’est un peu vrai. Pour la première fois de ma vie, c’est un livre qui m’échappe. Avec, même, certaines pages qui m’embarrassent un peu.

Pourquoi l’avoir écrit, alors ?

Je ne sais pas. Peut-être cette recommandation de Romain Gary lors d’un de nos ultimes déjeuners : « Casse la marionnette ! » Il arrive toujours un moment, dans la vie d’un écrivain, où il faut casser la marionnette car elle finit par l’asphyxier…

Un besoin irrépressible de révéler vos failles ?

Je n’aime pas non plus « failles ». Des zones douloureuses de ma vie, oui, sans doute. Des anciennes blessures qui font encore souffrir, et auxquelles on pense, dans la vie, le moins possible… C’est vrai, c’est un peu ça, la matière de ce livre.

Vous appréhendez cette promotion ?

Je suis sur mes gardes. C’est drôle, ça ne m’est jamais arrivé à ce point. Peur, j’imagine, que l’on me pousse au-delà du retranchement que j’ai construit avec ce livre.

Vous avez demandé à votre femme de vous filmer dans votre sommeil. Le lendemain, vous découvrez un tout autre homme.

Un homme que j’ai détesté ! Je n’aime pas ce triomphe du corps, cet abandon, cette âme et cette parole réduites à des grognements. Comment peut-on être aussi misérable dans son sommeil ?

Donc vous n’abandonnez jamais votre corps ?

Si, bien sûr. Dans les bras de la femme aimée, par exemple. Mais c’est un abandon voluptueux. Pas cet effroi, ce désarroi de la pauvre bête convulsée qu’on est dans le sommeil.

Nous apprenons que vous et votre épouse partagez un même lit…

Oui, bien sûr. Comme je dors très peu, je finis mes nuits seul, ailleurs. Mais chambre à part, non.

Enfant, le sommeil était déjà une source d’angoisse ?

J’avais des rituels d’endormissement compliqués. Ma mère y jouait un rôle. Elle lisait. Parfois des pages de roman. Parfois des poèmes. J’ai découvert Verlaine ainsi. Et Baudelaire.

L’amour que vous ont porté vos parents vous a-t-il aidé à devenir un homme aussi sûr de lui ?

C’est l’éternelle histoire. Quand, enfant, vous avez votre compte d’amour maternel et, d’ailleurs, paternel, vous êtes blindé, invulnérable. À un point près. Un point secret. Comme Achille. Celui-là est le point de la plus extrême vulnérabilité. Je le connais bien. Mais je n’en parle évidemment pas.

Personne ne l’a découvert ?

Le talon d’Achille ? Grands dieux, non. Touchez à cette part d’un homme et il se décomposera, se brisera à jamais.

Vous avez consulté des psys ?

Surtout pas ! Et ça ne m’intéresse pas vraiment.

Si vous rencontriez Bernard-Henri, que penseriez-vous de lui ?

Je le trouverais sympathique. Pas avare de lui-même et plutôt à l’écoute des autres.

Et mégalo ?

Qu’entendez-vous par là ? Vouloir faire des grandes choses ? Être à la hauteur des grands modèles ? Son père, par exemple ? Alors, oui. Mettons qu’on est, dans ce cas, mégalo.

Qu’aimeriez-vous que l’on retienne de vous ?

Que j’étais un meilleur écrivain qu’on ne le croyait au temps où ma personne prenait trop de place.

Vous évoquez également avec beaucoup de tendresse vos grands-parents maternels…

Mon grand-père, je ne l’ai pas connu. Il était berger. Je conserve précieusement son psautier, tout petit, mangé par le sable et le soleil. Mais je ne l’ai pas connu. Ma grand-mère, en revanche, oui. Presque centenaire. Une femme simple, quasi illettrée. À la fin de sa vie, elle vivait chez une sœur aînée de ma mère qui avait fini par lui apprendre des rudiments d’écriture. Alors elle m’envoyait des lettres. Avec un mot seulement, écrit en lettres bâton. Un cheveu. Un trèfle à quatre feuilles. Un coquillage. Et sur l’enveloppe qu’elle confiait à sa fille, ceci seulement, en lettres bâton toujours : « Bernard-Henri Lévy, Paris, France ».

Comment vos parents se sont-ils rencontrés ?

C’est leur vie. Pas envie d’en parler.

Pourquoi ?

C’est leur part de secret. Beaucoup m’encouragent à écrire un livre sur mon père, par exemple. Mais je crois que je ne le ferai pas. Il aurait détesté cela.

Je vous sens très ému. Il vous arrive de pleurer ?

J’ai pleuré à la mort de ma mère. C’était il y a vingt-cinq ans. Il n’y a pas un jour de la vie où je ne pense à elle. Ma mère était une très jolie femme. Très jeune d’allure. Et jusqu’à la fin. C’est drôle : elle hésitait entre la fierté de dire qu’elle était ma mère, révélant ainsi son âge, et laisser planer le doute. Mais elle finissait toujours par choisir la première option.

Votre père est mort à 75  ans. Vous en avez 76. C’est compliqué d’être plus âgé que son père ?

C’est étrange… Et puis c’est bizarre aussi d’arriver à l’âge où vos deux parents sont morts. Année un peu inquiétante, du coup. Comme un mauvais cap. Et puis voilà. L’année est passée. Tout va bien.

Ça coïncide aussi avec la sortie imminente de Nuit blanche.

Le plus bizarre est que mon père a choisi de mourir le jour de ma naissance. Ma mère avait organisé un petit dîner d’anniversaire à trois. Avant de partir, j’embrasse pour la dernière fois mon père ; et il a ce mot énigmatique : « Continue. » Trois heures plus tard, il est foudroyé. Je raconte cela dans le livre. Et puis il vient me voir en rêve pour me dire qu’un homme choisit toujours un peu le jour où il s’en va.

Pourquoi restez-vous très discret sur votre frère cadet ?

Il est évoqué dans le livre. Je ne souhaite pas en dire plus.

Et votre sœur ?

Ma jeune sœur [Véronique Lévy, écrivaine] est devenue un personnage public. La tendresse est intacte mais l’éloignement est maximal.

C’est comment, le dimanche de Bernard-Henri Lévy ?

Comme tous les jours de la semaine. Travail. Écriture. Volupté d’exister. Et, bien sûr, les mêmes insomnies.


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