Yannick Vely (Paris Match) : Vous évoquez dans L’Express, votre volonté de re-diaboliser le Front National. Quel rôle les journalistes et les intellectuels peuvent-ils jouer ?
Bernard-Henri Lévy : Il faut faire ce que nous nous apprêtons à faire vendredi, à la Maison de la Chimie, avec les psys de l’Ecole de la Cause freudienne et les écrivains de La Règle du Jeu. C’est-à-dire rappeler inlassablement le vrai visage du FN. Ne pas lâcher Madame Le Pen sur les aspects les plus ridicules, ou les plus choquants, de son programme. Révéler que le FN est le parti des voyous, des corrompus et des ennemis de la France. Bref, tout le contraire de ce que nous faisons depuis 10 ans. Tout le contraire de cette banalisation, molle mais sûre, à laquelle se sont livrés les principaux media.
Comment combattre efficacement le fléau de l’abstention à l’heure des réseaux sociaux où tout le monde s’exprime plutôt que de se déplacer ?
En faisant sentir aux gens l’importance de l’enjeu. C’est-à-dire en rappelant que plus Le Pen sera haut, dimanche prochain, plus grand sera son rôle dans la future opposition. Le problème, autrement dit, ce n’est plus seulement de l’empêcher d’entrer à l’Elysée : ça, depuis le débat de jeudi, ça semble à peu près réglé et je crois que la majorité des Français ont compris qu’elle était indigne de la fonction. Mais le problème c’est, aussi, de ramener le Front national à l’étiage qui était le sien du temps où nous résistions au piège de la dédiabolisation : ce que viendront dire, à la Maison de la Chimie, demain, Manuel Valls et Jean-Pierre Raffarin, Ségolène Royal et Christian Estrosi, Pierre Moscovici et Thierry Solère c’est qu’il faut empêcher, maintenant, la clique Le Pen d’être le noyau dur de l’opposition.
Marine Le Pen accuse Emmanuel Macron d’être le candidat du système. Comment combattre cette étiquette qui est souvent acculée à ceux qui combattent le Front national ?
En montrant qu’il y a deux systèmes. Celui de la République qui est un beau système, organisé autour de beaux principes et qui fait que la vie ensemble est un peu moins âpre, un peu plus douce. Et puis l’autre système, celui de la famille Le Pen, avec ses militants, ses emplois fictifs, ses intellectuels organiques et ses idiots utiles.
Ceux qui refusent de choisir jouent les idiots utiles de l’extrême droite
A qui pensez-vous ?
A tous ceux qui « refusent de choisir » entre Le Pen et Macron. A tous ceux qui nous racontent qu’entre la « facho » et « le banquier » c’est comme entre la peste et le choléra. C’est ce qu’ont fait, par exemple, des intellectuels comme Emmanuel Todd ou Michel Onfray. C’est ce qu’a fait Jean-Luc Mélenchon qui, à cette heure, n’a toujours pas été capable de prononcer, juste prononcer, le nom d’Emmanuel Macron. Et j’appelle ça, oui, jouer les idiots utiles de l’extrême droite…
Nous avons encore entendu mercredi soir, Marine Le Pen joue sur le registre de la colère et de l’émotion, jamais sur la raison. Comment la combattre sur ce terrain-là ? Faut-il adapter ses armes et son discours ?
Non. Surtout pas. Ce terrain-là, il faut le lui laisser. Et Emmanuel Macron a eu parfaitement raison de s’en tenir, lui, au registre de la rationalité et de la logique du moindre mal. Il est resté digne face à l’indigne. Vrai face au mensonge. Devant ce personnage en train de se décomposer sous nos yeux, devant ce visage qui se fissurait et laissait poindre la noirceur, l’esprit factieux, le fascisme, il avait, pour la première fois, l’air d’un président de la République.
Dans l’interview accordée à Paris Match, la candidate du Front National explique vouloir « créer » un barrage anti-Macron, anti-Attali, anti-Minc, anti-Parisot et anti-BHL … Que sous-entend cette attaque personnelle ?
Qu’elle s’amuse à dresser ses petits barrages, cela n’a aucune importance. Et je ne vais certainement pas entrer dans des polémiques ad hominem avec un personnage qui salit tout ce qu’il touche. Le seul barrage qui compte c’est celui qui lui sera opposé, dimanche soir, à 20 heures. A ce moment-là, si tout va bien, le Front national commencera de baisser et peut-être, qui sait, de se décomposer.
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