Il n’est pas un de ces commentateurs qui passent du temps inutile sur les plateaux sans savoir de quoi il parle. Il préfère le terrain pour nous raconter la réalité du monde. Précis, méthodique, rien n’échappe à Bernard-Henri Lévy qui livre un témoignage puissant dans Solitude d’Israël.
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Votre livre Solitude d’Israël est né dans la foulée des attaques du Hamas du 7 octobre. Un événement « selon un scénario nouveau », écrivez-vous. Que voulez-vous dire ?
Qu’on n’avait jamais vu cela. Nulle part. Tant de sauvagerie. De cruauté. Des femmes violées dans des conditions aussi effroyables. Et des caméras GoPro sur le casque des violeurs pour diffuser en direct ces scènes d’atrocité.
C’est ce qui fait la première singularité du 7 octobre ?
Oui. Al-Qaïda avait inauguré cela en filmant la décapitation de Daniel Pearl. Puis Daech en balançant sur YouTube des images d’Occidentaux, sur une plage, en combinaison orange, décapités en série. Mais, là, ces chairs sanguinolentes brandies, face caméra, comme des trophées… Cette jeune femme, Shani Louk, à demi-nue, outragée, jetée à l’arrière d’un pick-up, conspuée par une foule en délire… Et, de surcroît, l’auteur de la photo, embraqué dans le commando de tueurs, recevant un Prix international… Franchement, c’est du jamais vu.
Quelles sont, de votre séjour en Israël, les images que vous ne parvenez pas à ôter de votre esprit ?
J’arrive dès le 8 octobre. Et j’entre dès le 10 dans le kibboutz martyr de Kfar Aza. Tout, là, est inoubliable. Les maisons soufflées comme par un tremblement de terre. Les traces de sang. Le corps d’un terroriste, sous une vague bâche, une jambe couverte de fourmis. Un hangar à légumes avec, dans un coin, des débris de corps qu’une équipe de l’ONG Zaka va tenter de reconstituer afin de leur donner une sépulture humaine et juive. Et puis des récits de survivants, très crus, qui me racontent des choses atroces. Le livre naît là, à cet instant, comme un serment que je fais à ceux qui me prient de ne pas oublier, de témoigner…
Avez-vous peur, à ce moment-là ?
Pour les otages, oui, dont je sens que le Hamas va faire durer la souffrance. Pour les réservistes de Tsahal que je vois affluer du monde entier et dont je sais que certains vont, une fois encore, mourir au combat. Et puis ces innocents, à Gaza, que les chefs du Hamas voyaient, et voient toujours, comme un bouclier et une arme. « Notre arme, c’est le sang de notre peuple », dit le chef politique du Hamas depuis sa confortable villa de Doha – et cela m’a glacé les sangs.
Vous fustigez d’ailleurs ceux qui ont nuancé leur solidarité avec Israël.
Nuancé est un mot faible. Les alliés d’Israël, au début, disaient : « Nous exigeons la libération, sans condition, des otages ». Cinq mois plus tard, ils disent : « Nous exigeons l’arrêt, sans condition, des combats ». Biden, par exemple, a tranché. Qu’il le veuille ou non, il a choisi d’épargner le Hamas ; de sauver ce qui reste de ses troupes et de son commandement ; et, donc, de le laisser renforcer son emprise en Palestine.
Nombre de pays occidentaux s’interrogent, et critiquent, la stratégie de Benjamin Netanyahu à Gaza. Les comprenez-vous ?
Pourquoi pas ? Mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’ils ne proposent pas de stratégie alternative. Regardez bien. Ils sermonnent le Général X. Ils convoquent le Général Y. Mais c’est tout. Et pour cause : les Israéliens appliquent la stratégie qu’ils ont eux-mêmes appliquée en Afghanistan ou à Mossoul. J’étais à Mossoul, où j’ai tourné un long documentaire. J’étais en Afghanistan, missionné, à l’époque par le Président Chirac et le Premier ministre Jospin. Eh bien j’affirme que les Israéliens appliquent la même stratégie. Plutôt en mieux, d’ailleurs. Et en faisant bien plus attention à ce que le jargon militaire, dans un horrible mot, appelle les dégâts collatéraux.
La riposte d’Israël n’est donc pas disproportionnée ?
Ce qui est disproportionné c’est sa solitude. Car je vous le répète, en Afghanistan, pour briser les structures de commandement d’Al-Qaïda, il y avait une coalition internationale forte. À Mossoul, pour casser Daech, il y avait une foule d’alliés luttant au coude-à-coude avec l’Irak. Là, c’est l’étape 3. On a affaire à un Hamas qui, parce qu’il s’appuie, lui, sur un vrai axe d’alliés (Iran, Qatar, Turquie, Russie, peut-être Chine) est plus redoutable encore qu’Al-Qaïda et Daech. Or, paradoxalement, il n’y a plus personne. Zéro coalition. Israël est seul.
Vous ne pouvez pas nier les massacres de civils à Gaza…
« Massacres » suppose qu’on les vise à dessein. Or ce n’est pas le cas. Il n’y a pas de massacres délibérés à Gaza. Il n’y a pas de génocide. J’ai couvert beaucoup de guerres. J’ai documenté des génocides. J’ai fait, pour vos confrères du Monde, des reportages sur le Darfour, l’Angola, j’en passe. Jamais, dans aucune des guerres que j’ai couvertes, je n’ai vu une armée prévenir, organiser des couloirs d’évacuation, diffuser des cartes permettant aux civils de se mettre à l’abri – et, au passage, renoncer à l’effet de surprise qui est, dans une guerre, un atout…
La France, par la voix du Président Emmanuel Macron, a émis des réserves sur la riposte de Benjamin Netanyahu. Est-ce difficile à admettre pour vous ?
C’est un fait. J’aimerais mieux voir la France en appui d’Israël comme elle a été, il y a 9 ans, au moment de la bataille de Mossoul, en appui de l’Irak. Mais c’est ainsi.
Plusieurs travailleurs humanitaires de World Central Kitchen ont été tués par une frappe israélienne alors qu’ils venaient de distribuer de la nourriture. L’État hébreu plaide l’erreur…
Bien sûr, oui, l’erreur. Et une erreur d’autant plus tragique que le World Central Kitchen était, précisément, l’ONG avec laquelle Israël comptait travailler de plus en plus pour acheminer l’aide humanitaire. Mais c’est tout de même une erreur. Et je suis stupéfié de voir les États-Unis s’engouffrer dans la brèche pour maudire Israël et exiger un cessez-le-feu. Biden a-t-il oublié que son armée a fait la même erreur, exactement la même, quand le 29 août 2021, peu après le départ de Kaboul, une frappe erronée a pulvérisé un convoi civil en tuant 7 enfants ? La différence c’est qu’il fallut des semaines au Pentagone, à l’époque, pour reconnaître « un erreur tragique ». Alors qu’il a fallu trois jours à Israël pour enquêter, comprendre et démettre les officiers responsables….
Quelles seraient les conditions pour aboutir à une paix durable ?
La défaite du Hamas. Mais totale. Sans possibilité de retour. Sans possibilité de se recycler, sous un autre nom, comme une des branches de l’OLP. Car, alors, tout recommencerait. Les pogroms : le Hamas a clairement dit que le 7 octobre n’était qu’un début. La guerre intrapalestinienne : voyez comment le Hamas torture ou liquide quiconque, aujourd’hui même, se met en travers de sa route. Et, bien sûr, l’Iran, grand marionnettiste de tout ce drame : il attend son heure…
Vous n’êtes donc pas favorable à un cessez-le-feu ?
Si. Mais pour négocier la libération des otages. Ou pour augmenter l’aide humanitaire. Mais c’est, précisément, ce que le Hamas refuse. Lui, veut un cessez-le-feu « durable » c’est-à-dire, en fait, définitif et lui permettant de pavoiser sur le thème : « on a gagné ; on a obtenu, par la barbarie, ce que les autres n’avaient jamais obtenu par la négociation… ».
La solution à deux États est-elle la plus raisonnable ?
Oui. Mais sans le Hamas. Et avec une direction palestinienne comprenant enfin qu’il n’y a pas d’autre solution que le partage de la terre. Le partage. Pas un État palestinien qui irait « de la mer au Jourdain ».
Peut-on imaginer cette issue que Benjamin Netanyahu est au pouvoir ?
Benjamin Netanyahu est un faux problème. Tous les Israéliens savent que ses jours au pouvoir sont comptés. Vous avez, à l’heure où nous parlons, une manifestation monstre qui se prépare à Tel Aviv et exige son départ.
Le conflit a des répercussions en France où le nombre d’actes antisémites a fortement augmenté…
Oui. Et ce, dès le 8 octobre ! Comme si le pogrom monstre avait, chez nous aussi, été perçu comme une bonne nouvelle. Comme si c’était quelque chose qu’on pouvait et devait célébrer. Que disaient-ils d’autres ceux qui, dès le premier jour, ont salué un « acte de résistance », une « réponse » à « l’occupation israélienne » ?
Des tags antisémites ont été découverts il y a quelques mois dans notre région, dans le Gard et à Toulouse, où vous serez ce dimanche. La condamnation des pouvoirs publics est-elle à la hauteur ?
Oui. Il y a cette vague d’antisémitisme, c’est certain. Mais les institutions tiennent. Les préfets et les maires sont impeccables. La police ne laisse rien passer.
Vous n’épargnez pas, en revanche, certains partis politiques, LFI notamment. Sont-ils sortis de l’arc républicain le 7 octobre ?
LFI, vous pouvez leur poser n’importe quelle question, sur n’importe quel sujet, ils vous répondront « Gaza », ils ne sont obsédés que par « Gaza ». Avec, en même temps, et ça rend la chose presque comique, une ignorance crasse des réalités politiques et de terrain.
Dans le même temps, le Rassemblement national a soutenu Israël. Peut-on accepter ce soutien ?
Il n’y a pas à « accepter » ou « refuser ». La vraie question qui se pose c’est si son attitude est le fruit d’un changement profond ou pas. Pour ma part, je ne le crois pas. Et je suis même convaincu qu’un changement profond sur un sujet comme l’antisémitisme, ça ne se décide pas comme ça, sur un coup de tête, ou par décret d’une direction de parti politique.
Des manifestations ont tenté, dans d’autres villes, de perturber votre venue…
Oui. Mais la France est mon pays. Je m’y place comme je l’entends. Et ce ne sont pas des bandes de nervis prétendument « propalestiniens », et soi-disant « résistants », qui vont m’intimider. Comme vous savez, je serai ce dimanche, à Toulouse qui est une des villes de France où l’on sait ce que Résistance veut dire. Et, croyez-moi : je n’aurai, pour rien au monde, manqué ce rendez-vous.
Qu’attendez-vous de cette soirée à Toulouse ?
Aider à ce que les Juifs, les amis des Juifs, les non-Juifs amis d’Israël, se sentent un peu moins seuls. Le moment est rude. Les critiques, plus injustes les unes que les autres, montent de toute part. Mais je crois, moi, qu’il faut se battre et que la vérité triomphera. Sinon, je n’écrirais pas.
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