Un long jeune homme pâle, moins épais que ses livres. Lunettes noires, des cheveux de corbeau, mince sourire, mais cordiale. Bernard-Henri Lévy n’aime pas le soleil mais il se prête courtoisement aux caprices du photographe qui déteste les contrejours.

La conversation s’ouvre, sans prolégomènes. Tout de suite le vif du sujet.

L’urgence intérieure

BERNARD OUSTRIÈRES : Y aura-t-il un codicille au Testament de Dieu, ou bien nous préparez-vous d’abord un second roman, une suite au Diable en tête ?

BERNARD-HENRI LÉVY : Je ne s ais pas. J’ai deux livres en chantier. Un essai philosophique et un second roman. J’ignore encore lequel se détachera et donc sera publié en premier. J’écris en fonction de l’urgence intérieure. J’écris un livre quand je en peux plus faire autrement. Dans Le Diable en tête, je fais dire à mon personnage que les grands romans sont ceux dont la non-écriture provoquerait la mort de leur virtuel auteur.

Bien entendu, il ne m’appartient pas de dire si mes propres livres ressortissent à cette catégorie. Mais effectivement, en les écrivant, j’ai obéi à une nécessité absolue.

Si second roman il y a, quel sera son titre ?

Par superstition, discrétion et pudeur je me refuse à la divulguer.

Un scoop mondial

Le Diable en tête s’intitulait-il ainsi initialement ?

Je vous donne là un scoop mondial. Il devait s’appeler Les derniers jours mais le titre existait déjà. Je crois qu’il s’agit d’un livre de Raymond Queneau. Il a fallu en trouver un autre.

Vous avez obtenu une voix au dernier tour du scrutin chez Drouant. Connaissez-vous le juré des Goncourt qui a voté pour vous ?

Je crois que c’est Edmonde Charles-Roux et je suis très sensible au fait qu’elle m’ait soutenu jusqu’au bout. Elle a écrit un article sur mon roman dans le magazine Femmes où elle exprimait ouvertement son opinion. Edmonde Charles-Roux est une femme pour qui j’ai le plus grand respect et que j’admire. Je tiens pour un plaisir et un honneur qu’elle m’ait accordé son suffrage jusqu’au bout.

Les lauriers de Marguerite

Le Goncourt est finalement allé à Marguerite Duras. Or, dans l’esprit des frères Goncourt, le prix devait notamment récompenser une œuvre jeune sinon de jeunesse.

Oui mais je suis très content que Marguerite Duras ait obtenu ces lauriers. Eu égards à nos âges respectifs j’avais statistiquement de meilleures chances qu’elle de l’emporter. Il est important que l’Académie Goncourt, après avoir si insolemment ignoré Marguerite Duras, lui attribue enfin son prix.

Par ailleurs, je dois ajouter que je suis ravi d’avoir été en quelque sorte en concurrence.

Et ce fameux prix Médicis que vous avez décroché ?

J’ai déjà eu l’occasion de dire que c’était celui que je souhaitais le plus authentiquement.

Post-modernisme

Parmi les jurés et même les fondateurs du Médicis, figure Alain Robbe-Grillet, théoricien du Nouveau Roman et donc d’une nouvelle écriture. Or, vous avez manifestement opté pour une langue sage, presque classique…

Elle n’en est pas moins nourrie de tous les acquis des années 60. Ce n’est pas un retour en arrière, c’est plutôt un transcendement de ces acquis.

Le personnage principal du Diable en tête, Benjamin C., fait référence à Benjamin Constant ou plutôt à son propre personnage, Adolphe.

Oui, pour diverses raisons. Et sans doute d’abord parce que Benjamin Constant, très sous-estimé, fut le grand romancier de l’amour et l’un des maîtres du roman psychologique.

Un agrégé sachant écrire

Passons de votre œuvre à vous-même. Vous vivez exclusivement de votre plume ?

Oui je suis sorti de l’École Normale supérieure de la rue d’Ulm et j’ai commencé par enseigner, comme agrégé de philo. Mais j’ai quitté l’enseignement. Mes tirages le rendent possible. Le Diable en tête frise déjà les 200000 exemplaires et il était en tête des ventes avant le Prix Médicis. Le Testament de Dieu a dépassé les 100000 dans l’édition normale.

Il faut ajouter les éditions de poche, les clubs et les nombreuses traductions. Ça marche bien en Amérique, Time Magazine m’a accordé sa « Une », honneur que je partage en France avec Brigitte Bardot, Isabelle Adjani, et Charles de Gaulle…

Le général cherchait un agrégé sachant écrire. Vous auriez pu être celui-là ?

Je ne crois pas.

Littérature et philosophie mises à part caressez-vous d’autres ambitions ?

J’ai eu des ambitions politiques entre 7 et 8 ans et j’ai essayé d’obtenir une investiture. Aujourd’hui je pense qu’un écrivain aliénerait une part de sa liberté d’expression en entrant en politique. J’observe qu’au cours de mes tournées en France, j’attire généralement plus de monde que les orateurs politiques.


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