J’aimerais que l’on dise de moi que je suis l’un des derniers écrivains à être restés hantés par le modèle de l’intellectuel traditionnel, un modèle qui naît avec Émile Zola et qui culmine avec Jean-Paul Sartre. Ce modèle-là, de l’intellectuel engagé, je suis l’un des ultimes à en avoir la nostalgie.

Non, de nos jours, être intellectuel n’est pas lourd à porter. Mais c’est de plus en plus problématique. Les… « conditions de possibilités théoriques » de l’intellectuel classique sont en train de vaciller. La croyance en la vérité, en l’universalité des valeurs, en la toute-puissance de la raison, sont autant de convictions qui étaient à la source du modèle de l’intellectuel classique. Je ne suis pas sûr qu’elles aient la même assurance aujourd’hui que jadis.

(N’est-ce pas un peu déprimant pour vous, intellectuel engagé, d’entendre que Rika Zaraï fait d’énormes tirages ?) D’abord je ne suis pas sûr de vendre tellement moins de livres que Rika Zaraï ; et ensuite, c’est comme si vous demandiez si je suis navré de vendre moins de livres que les chaussures André ne vendent de chaussettes. Les livres de Rika Zaraï ne sont pas des livres, ce n’est pas de la littérature : c’est un autre produit.

(Admettons. N’y-a-t-il pas néanmoins un paradoxe, pour quelqu’un qui se dit hanté pour le modèle de l’intellectuel traditionnel, à utiliser le système de l’argent, de l’édition, des médias ?) Ça ne me gêne pas. J’ai toujours eu un rapport aux médias très simple, un rapport décomplexé.

J’ai de tout temps pris soin d’ailleurs de faire disparaître la mise en scène de mes apparitions publiques. Je l’ai régulièrement réduite au strict minimum. C’est vrai que l’on connaît peu de choses de moi et je ne tiens pas à ce qu’on en connaissance davantage. Ce n’est pas par goût du mystère ou du secret mais je pense que les renseignements sur la vie privée d’un auteur n’ajoute pas grand-chose à l’intelligence que l’on peut avoir de son œuvre.

(Pour l’un de vos personnages, les vrais écrivains font leur œuvre. Mieux, dès le premier jour, dans une sorte de vision panoramique, ils voient la succession des ouvrages que leur assigne le destin. Ressemblez-vous à ces créateurs-là ?)

Je suis incapable de planifier quoi que ce soit. Je pense que les écrivains devraient être capables de désigner les livres qu’ils estiment moins importants dans l’ensemble de leur production. En ce qui me concerne, Questions de principe 1 et 2, Impressions d’Asie, Éloge des intellectuels sont des livres mineurs, des livres d’intervention.

(Si l’on en croit Flaubert, la littérature est le meilleur moyen d’escamoter une existence. Partagez-vous cette opinion ?) Je crois qu’il y a la vie d’un côté, l’œuvre de l’autre ; elle se rencontrent moins qu’on ne le croit.

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Là, je suis avec mon père. J’ai d’excellents rapports avec lui ; il est président d’une entreprise ayant une activité à l’échelon européen et aussi en Afrique francophone. (Votre enfance laisse supposer une certaine aisance financière qui vous a peut-être permis de vous adonner à l’écriture ?) Non. Rien n’explique la naissance d’un écrivain. (Serait-ce donc inné ?) Ce pourrait être une explication, mais non. En ce qui me concerne, c’est une succession d’événements qui m’ont amené vers l’écriture.

(Vous-même, avez-vous des enfants ?) Oui, j’ai deux grands enfants. (On raconte que vous n’avez pas de domicile fixe…) C’est vrai aussi. Je vis à l’hôtel par souci d’une certaine légèreté. (N’est-ce pas une façon de s’isoler de la réalité, de se détourner du problème, des gens qui cherchent du travail, par exemple ?) Ça pose évidemment un problème, oui. (Mais cela ne vous empêche pas de dormir ou de manger…) Effectivement, vous savez j’ai le goût, le souci d’une vie légère. Pas pétillante.

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Anne Sinclair est l’une de mes plus chères amies. Pour moi c’est l’une des personnalités, pas si nombreuses, qui aujourd’hui sauvent l’honneur de la Télévision française. Il n’y a pas qu’elle, cependant. Il y a Patrick Poivre d’Arvor, qui est un grand journaliste ; il est en train de réussir le redoutable défi de faire une émission littéraire de vraie qualité et qui, en plus draine un large public. (Est-ce que vous appréciez moins ce que fait Bernard Pivot ?) Bien sûr que non. Bernard Pivot c’est autre chose. Je lui dois tant qu’il serait malvenu pour moi d’émettre la moindre réserve.

(Vous avez publié des essais, des romans, de nombreux articles mais pas de théâtre ni de scénarios de cinéma…) Ça me tente, pourtant. Je peux vous dire qu’actuellement, je suis en train de fabriquer une série de quatre films qui composeront une Histoire des intellectuels français, de l’affaire Dreyfus à la mort de Sartre. Ces films seront, en principe, diffusés à la fin de l’année.

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Salman Rushdie… Dans cette histoire, tout le monde a l’air d’oublier qu’il est écrivain. On le traite comme s’il s’agissait d’un propagandiste, d’un idéologue. On le traite comme s’il était un religieux venant polémiquer avec d’autres religieux. Rushdie est écrivain. À ce titre, il a tous les droits.

(Vous faites dire à l’un de vos personnages « j’ai assez d’insolence pour plaire à la jeune garde, assez de rouerie pour ne pas froisser les gloires établies »…) Oui, j’étais comme ça il y a quinze ans. À présent, je suis plus indifférent à ce qui se dit sur moi. (Indifférent également à la pollution ? À la possibilité que la Terre soit bientôt condamnée ?) Ça ne me touche pas. Sans doute à tort. Ce problème ne me préoccupe pas. Ce qui compte, c’est mon œuvre, mon combat.

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Voilà une photo prise au cours d’un « Grand échiquier » que j’avais fait avec Jacques Chancel ; c’est un personnage que j’aime beaucoup. (Rien de plus à dire ?) Je l’aime beaucoup. (La réponse est très sobre… On vous voit ici également en compagnie de France Gall ; appréciez-vous que des chanteurs profitent de leur notoriété pour défendre certains points de vue politiques ?) C’est toujours bien. Pour lutter contre la misère, l’horreur, le malheur, on n’est jamais de trop.

(Question frivole : sur ce document, comme souvent d’ailleurs, vous portez une chemise blanche. Cette couleur a-t-elle une signification particulière pour vous ?) C’est vrai que l’on me voit souvent avec le même type de chemise ; en fait, j’ai adopté ce genre de lingerie depuis vingt-cinq ans ! Le blanc n’a aucune signification particulière. Si j’ai choisi ce style c’est probablement par souci de bien-être ; je n’aime pas la contrainte du veston, je n’aime pas l’impression d’être ligoté que l’on a lorsqu’on met une cravate. Cela dit, cette question m’est relativement indifférente.

(Autre question frivole : avez-vous un animal de compagnie ?) Je n’aime pas les animaux. (Et le genre humain ?) Oui, je crois que j’ai une vraie curiosité pour les êtres, et souvent une véritable tendresse. Autour de moi, il y a des gens que j’aime infiniment.


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