Le communisme s’est effondré. La démocratie lui avait résisté, elle ne l’a pas vaincu. Privée, croit-elle, d’ennemi, elle s’endort sur elle-même et ne perçoit pas son nouvel ennemi, cet intégrisme qui a succédé au communisme et est aussi redoutable que lui. Comme elle a besoin de s’opposer pour survivre, elle s’invente de faux ennemis avec le nationalisme et le populisme qui sont d’autres intégrismes. Et, paralysée par son unanimisme, par ce consensus mou dans laquelle elle se complaît, la démocratie se transforme à son tour en une sorte d’intégrisme doux.
Résumé ainsi, le dernier ouvrage de Bernard-Henri Lévy est désespérant.
« C’est le constat de l’époque, répond d’emblée l’auteur de La pureté dangereuse. Et je ne vois pas comment y échapper. Sauf à se raconter des histoires. Il faut voir le monde tel qu’il est, horrible et inquiétant. Nous vivons une fin de siècle sombre ».
De tous les temps
Constat à la fois évident et surprenant : l’intégrisme, explique BHL, a été de tous les temps. Pourquoi apparaît-il plus dangereux aujourd’hui ?
« L’intégrisme a toujours été dangereux. Il y a eu Savonarole, la Révolution française dans son versant terroriste, le communisme. L’événement aujourd’hui est qu’avec la mort de ce dernier, on pensait en avoir fini et que la démocratie l’avait emporté, c’est-à-dire un régime fondé sur le compromis, sur le moindre mal, sur l’impureté. Or, cette démocratie voit se dresser, face à elle, d’autres types d’intégrismes qui seront peut-être aussi menaçants ».
BHL est d’accord : à la différence des siècles passés, les intégrismes d’aujourd’hui sont nommés comme tels parce qu’ils sont à connotation religieuse. Il précise :
« Intégrismes catholique, juif mais surtout musulman, ce dernier en étant la forme la plus redoutable. Et d’abord parce qu’il y a, dans le Coran, des dogmes qui rendent la pente intégriste plus facile. Ainsi la négation de ce péché originel qui est une sorte de garde-fous contre l’intégrisme chez les catholiques, c’est-à-dire contre l’idée d’une communauté parfaite. L’imperfection obligée des sociétés rend l’intégrisme impossible ».
L’Histoire est une autre explication du danger de l’intégrisme musulman. Pour BHL, le catholicisme a connu l’intégrisme mais l’a condamné, l’a surmonté et est aujourd’hui vacciné. Pas l’Islam.
« Il y a enfin une troisième cause qui tient à la conjoncture. Le monde musulman en général et arabe en particulier est traversé par des forces qui rendent l’appétit de pureté pour de larges masses plus mobilisateur encore que partout ailleurs ».
Où est l’espérance ?
Mais dans les démocraties marquées par la corruption des affaires, par le cynisme, par le règne des égoïsmes, cette faillite des valeurs ne peut que susciter également un appel à une certaine pureté qui est l’autre visage de l’intégrisme.
« Où est l’espérance dans les sociétés démocratiques ? Les jeunes disent souvent : Jai la haine. Mais c’est une haine sans objet et sans finalité. Face à cela, l’aspiration à la pureté est une tentation très forte ».
BHL évoque, dans son livre, une internationale intégriste, expression que d’aucuns ont critiqué et qui prête peut-être à confusion.
« On peut me faire les procès qu’on veut : je n’ai jamais parlé d’une internationale orchestrée même si, ici ou là, il peut y avoir des collusions. En revanche, il y a des mécanismes intellectuels communs entre un national communiste serbe, un slavophile russe, un assassin fondamentaliste algérien ou un front national belge ou français. Tous ces gens-là sont voisins, cousins, vraiment contemporains ».
Pour BHL, on est là dans le sujet précis de son livre : pister ce qu’il y a de commun entre ces gens. Mais pourquoi ces mécanismes se mettent-ils en marche tous ensemble aujourd’hui ?
« Parce que le communisme est mort en partie. Parce qu’on en retrouve des éléments recyclés dans de nouveaux mouvements. Le communisme est mort comme système, il n’est pas désintégré ».
Sauver les démocraties
Face au danger intégriste, reste la démocratie. Celle-ci avait besoin du communisme, écrit BHL. Risque-t-elle de disparaître avec lui ?
« Le communisme et la démocratie étaient liés comme des frères siamois monstrueux et diaboliques. L’un s’effondrant a provoqué chez l’autre une sorte d’hémorragie de sens. La perte de l’adversaire, au lieu d’exalter le triomphateur, paradoxalement l’affaiblit. Les démocraties sont peut-être en train de mourir de ce qui devait être leur triomphe ».
Sauver les démocraties ?
Pour BHL, c’est possible. La solution ? Se savoir condamné à l’imperfection, au compromis et donc à la tolérance dans un combat de l’impureté contre la pureté. Mais n’est-ce pas un idéal démotivant que celui de l’impureté ?
« La démocratie est difficile. C’est sa grande faiblesse. Parce qu’elle dit aux hommes : il n’y a pas de société parfaite, vous n’avez pas de représentants qui sont des surhommes, vous n’êtes que des mortels et ne serez jamais des dieux. Il y a là une leçon de doute ou de désespoir mais en tout cas de pessimisme ».
Au bout de sa thérapie, BHL affirme que le devoir du démocrate est de saper systématiquement l’idée d’une vérité. Dans ce contexte, que fait-il de la religion ?
« Les esprits les plus religieux sont des gens qui doutent. J’ai connu des prêtres qui ont des moments de doute vertigineux. Pascal doute parfois. Wiesel a douté à Auschwitz ».
Et Dieu. N’est-il pas une vérité ?
« Si j’étais croyant, ce serait comme Pascal : Dieu est un pari. Mais il n’y a pas de démocratie sans un horizon religieux, sans croire au péché originel, sans croire qu’il y a quelque chose dans la création du monde qui le voue à l’inachèvement. La laïcité est compatible avec la démocratie, pas l’athéisme militant. C’est un autre intégrisme… »
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