À la guerre, on dir qu’il y a deux sortes de courage. Celui pour sortir de la tranchée et celui pour y rester. Le courage est la seule munition qui ne manque pas aux Ukrainiens. Après Pourquoi l’Ukraine et Slava Ukraini, Bernard-Henri Lévy témoigne dans L’Ukraine au cœur. Avec son coréalisateur Marc Roussel, il est retourné sur cette zone d’affrontement tectonique où se joue aussi le destin de l’Europe. À Odessa, Kherson, Bakhmout, jusqu’à la frontière bélarusse, le kaki est la couleur d’un été luxuriant mais où chaque bosquet, chaque trou d’obus, chaque maison éventrée raconte, sur la belle musique de Slava Vakarchuk, une tragédie. Une jeune fille de 20 ans arpente la rue sur sa nouvelle jambe mécanique. Elle dit qu’elle ne regrette rien. Mieux, elle est reconnaissante pour cette vie qui, avant, n’avait aucun sens ; une vieille paysanne fait visiter se demeure sans fenêtres ni porte mais avec un potager intact. Au moment des adieux, elle livre d’une bouche édentée : « Et puis on vivra ! Et voilà ! »

On vivra, et voilà… c’est la leçon de ce peuple. Et pour cela, il compte sur ses « braves ». Car ce road-movie est d’abord un film de guerre. Et là éclate la vérité d’un combat à armes inégales. Certes, il y a les « oiseaux », des drones pour pallier l’absence d’aviation ; des chars, des mortiers, des obusiers, qui valent à l’Occident quelque dédicace reconnaissante comme une « position Macron » dissimulée sous les feuillages. Mais « si on avait plus de munitions on pourrait faire le job jusqu’au bout », dit un soldat fatigué de trop de demi-victoires. Et ça tire, et souvent ça tombe. Il faut courir, se souvenir que l’ennemi est partout, lui qu’on ne voit jamais sauf sous la forme erratique de quelque prisonnier, ex-taulard, tirant sur sa cigarette en expliquant qu’il a été « vendu » à une armée privée. Le philosophe est-il venu se familiariser avec la mort ? Son ami, Gilles Hertzog, affirme qu’il n’est pas un drogué à l’adrénaline, mais que son goût des champs de bataille tient à son père, ancien des Brigades internationales de la campagne d’Italie. Il le retrouve peut-être chez Nico, 33 ans, un Français qui, le 24 février 2022, pensait partir en vacances à Cancun, et a changé de direction. Ou chez Vitali et Alex, soldats d’une unité d’élite israélienne, venus transmettre leur savoir.

D’un passé antisémite, la Russie, avec un culot hors norme, a fait son arme de propagande. Mais le rabbin Fishel Chichelmitsky rigole quand, le soir du shabbat, on lui rappelle que Moscou veut l’arracher aux nouveaux nazis… « Merci à nos gars, merci à tous ceux qui se battent pour nous », répond-il. Et si l’Ukraine et Israël étaient des nations sœurs confrontées aux mêmes empires ? Quand on lui demande si le pogrom du 7 octobre et la nouvelle guerre de Gaza ne devraient pas lui faire repousser la sortie du film, Bernard-Henri Lévy répond : « Surtout pas ! J’étais là quand tout le monde y était. J’y suis encore quand tout le monde est ailleurs… Si on avait donné aux Ukrainiens, dès 2014, les moyens de gagner cette guerre, d’autres auraient été évitées. » Sa peur est grande de voir les Occidentaux capituler les premiers, eux qui, pourtant, ne paient pas le prix du sang. Ni des prothèses. À tous les amoureux du détail, qui continuent à se demander pourquoi aller à la guerre en chemise blanche, Serge Osipenko, qui le guide au plus près du front, répond avec la sagesse de qui en a vu d’autres : « C’est un choix d’artiste. » Il l’a vu arriver avec son petit sac de voyage, reconnaissable, trop parfois, insistant pour aller au cœur des combats. Avec cette étrange idée, si peu française, d’écrire sur ce qu’on connaît… Philosophe de l’action en action, premier étonné de fêter ses 75 ans. Vieux jeune homme jamais lassé du monde.


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