Il pèse chacun de ses mots comme s’ils étaient chargés de nitroglycérine. Soucieux d’exprimer ses convictions sans en dire trop, de distiller ses vérités en évitant le faux pas. Conscient d’avancer en terrain miné.

Alors que son dernier essai vient de sortir (1), Bernard-Henri Lévy sera l’invité d’honneur d’une soirée de solidarité avec Israël organisée ce mardi 2 avril à Nice (2). L’occasion de réaffirmer son attachement viscéral à l’État hébreu, de défendre son armée et le choix stratégique de pilonner Gaza.

Vous estimez que le pogrom du 7 octobre marque un « tournant ». Vers quoi ?

Vers l’horreur. On n’avait jamais vu des centaines d’hommes envahir un pays, entrer dans des villages, exécuter tous les civils qu’ils rencontrent, éventrer parfois leurs victimes, violer des femmes dans des conditions particulièrement atroces et repartir avec 240 otages !

Vous fustigez ceux qui ont nuancé leur solidarité avec Israël : « On soutient, mais… » Qui visez-vous précisément ?

Ce « mais »est ignoble ! [Silence] La liste serait longue. Je fais notamment allusion à certains des plus hauts responsables de l’Onu, à commencer par le secrétaire général [António Guterres, ndlr]. Mais aussi à certains députés de La France insoumise. Et aux campus américains, parfois français, où ces Einsatzgruppen (3) ont été transformés en un mouvement de résistance. Dire cela, c’est le sommet du « oui mais » !

Lorsque vous évoquez l’action de l’armée israélienne, vous n’éludez pas les morts d’enfants et les victimes civiles à Gaza. Mais à votre tour, vous dites « oui mais » pour minorer la responsabilité de Tsahal…

Je dis simplement que je ne connais pas une armée qui, dans une guerre de cette nature, prenne autant de précautions pour éviter les victimes civiles ! Tsahal multiplie les tracts, les appels par haut-parleurs pour inviter ces derniers à évacuer les zones de combat. Dans les autres conflits que j’ai couverts dans le monde, ce n’était pas le cas.

Le ministère de la Santé du Hamas avance pourtant le chiffre de 32.500 morts à Gaza ?

À ce jour, nul ne connaît le nombre de victimes civiles palestiniennes. Ce chiffre est probablement faux. Il ne distingue pas combattants et civils. Et, parmi les civils, il ne distingue pas ceux tués par les roquettes du Hamas qui – une fois sur cinq – retombent en territoire palestinien.

Peu après l’attaque du 7 octobre, Emmanuel Macron a proposé de constituer une « coalition anti-Hamas ». On prétend que vous lui avez soufflé l’idée : est-ce exact ?

Je ne souhaite pas répondre à cette question.

Comprenez-vous ceux qui, exempts de toute forme d’antisémitisme, jugent la riposte d’Israël disproportionnée ?

Ils sont mal informés. La riposte n’est pas plus disproportionnée que ne le fut celle de la coalition internationale après les attaques de Daech en Irak. J’étais à Mossoul : la ville a été quasiment détruite, les victimes civiles y ont été très nombreuses. Les armées de la coalition ne s’employaient pas à évacuer les civils.

Rafah a été bombardée dans la nuit de mardi à mercredi, moins de 48 heures après que l’Onu a voté une résolution exigeant un « cessez-le-feu immédiat ». Vous approuvez cela ?

[Silence] À l’heure qu’il est (4), la bataille de Rafah n’a pas commencé. Elle ne doit pas débuter tant que le million et demi de civils n’a pas été évacué.

La position de Joe Biden, qui s’est abstenu sur cette résolution, a été critiquée des deux côtés. Qu’en pensez-vous ?

C’est une mauvaise nouvelle pour Israël et pour les États-Unis. Quand on est une démocratie, on a le devoir de soutenir sans réserve une autre démocratie en lutte contre une armée d’assassins dont le seul objectif est d’annihiler un pays, de semer le chaos dans toute la région et d’empêcher toute solution de paix.

Quelles seraient les conditions pour aboutir à une paix durable ?

D’abord la libération sans condition de tous les otages. Ensuite, la destruction du Hamas. Cela permettra au temps de la politique de revenir. Il faudra alors qu’une direction palestinienne accepte, avec sincérité, le principe d’une coexistence avec Israël. Dès lors, tout sera possible – notamment l’évacuation de la Cisjordonie.

Peut-on imaginer une issue tant que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, gouvernera avec des alliés suprémacistes et ultraorthodoxes ?

Non, bien sûr. La présence au gouvernement de Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich (5) sera, le moment venu, un obstacle à la paix. Mais quand la question se posera, ils n’y seront plus ! Avant le 7 octobre, le peuple israélien était dans la rue pour contester la coalition de Netanyahou. Ce sera de nouveau le cas lorsque la guerre aura été gagnée.

Benyamin Netanyahou n’a-t-il pas un intérêt politique à faire durer le conflit ?

Je n’en sais rien. [Silence] C’est une accusation gravissime. Dans le meilleur des cas, c’est de la spéculation pure. Dans le pire des cas, un énième avatar des théories complotistes que je vois surgir ici et là.

La guerre actuelle n’est-elle pas en train de dégrader l’image d’Israël dans le monde ?

J’ai le sentiment d’une poussée mondiale d’antisémitisme qui prend Israël pour prétexte.

En France, le nombre d’agressions antisémites a explosé depuis le 7 octobre. Est-ce lié, selon vous, à la présence d’une importante population issue de l’immigration ?

L’antisémitisme, vous savez, c’est un délire – le plus meurtrier de tous. Pour ce genre de délire, il n’y a jamais d’explication sociologique simple.

Vous avez des mots très sévères pour Jean-Luc Mélenchon. Mettez-vous tous les Insoumis dans le même sac ?

[Il soupire] Pour l’instant, il y a des femmes, des hommes et des enfants qui meurent tous les jours. Il y a des roquettes qui tombent au sud d’Israël. Faire le distinguo entre les uns et les autres, au sein des Insoumis, n’est pas mon souci principal.

Vous posez la question : faut-il accepter le soutien de l’extrême droite ? Votre réponse est négative. Mais vous ajoutez aussitôt : « Je suis bien conscient qu’une nation aussi fragile qu’Israël ne peut pas s’offrir le luxe de refuser une main qui s’offre ». N’est-ce pas une façon d’excuser par avance d’éventuelles compromissions ?

Non. La question que je pose, c’est de savoir si la conversion de l’extrême droite est sincère. Je sais qu’on ne se débarrasse pas de l’antisémitisme par décision d’un bureau politique. Quand un parti a été nourri depuis sa naissance par le racisme et l’antisémitisme, il faut un vrai travail sur soi, sur sa mémoire, un immense effort de pensée pour rompre avec ce passé. Cet immense effort-là, je ne crois pas que l’extrême droite française l’ait fait. Je dis donc : méfiance.

Au second tour de la présidentielle de 2027, si un candidat d’extrême droite est opposé à un candidat d’extrême gauche, lequel aura votre bulletin ?

La France ne sera jamais dans cette situation-là. Ce serait un cauchemar. Je me refuse à l’envisager !

*

1. Solitude d’Israël, par Bernard-Henri Lévy, éditions Grasset, 144 pages, 15 euros.

2. Rencontre-dédicace le mardi 2 avril à 19 heures au Palais de la Méditerranée, 13 Promenade des Anglais à Nice. PAF : 5 euros. Réservation et inscription obligatoire sur www.billetweb.fr/fsju-bhl.

3. Allusion aux unités mobiles d’extermination du IIIe Reich allemand.

4. Cet entretien a été réalisé le mercredi 27 mars.

5. Respectivement ministres de la Sécurité nationale et des Finances du gouvernement Netanyahou.


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