Comment les Ukrainiens voient-ils cette longue figure au regard alerte et interrogatif, aux sourcils de général mais à la veste d’intellectuel, qui se greffe à leurs régiments quelques heures durant ? Bernard-Henri Lévy devise à l’entrée d’une rue avec des hommes en treillis. Oui, nous avons déjà des gilets pare-balles. Les 4 × 4 démarrent, solides comme le moral ukrainien. Les accords d’un piano lancinant résonnent en bande-son. Chacun regarde par la fenêtre les tanks calcinés d’Izyoum, puis les immeubles éventrés de Kharkiv. Des carrés noirs sur fond blanc. Les missiles ont plu sur cette grande ville.

Dans ce second film documentaire sur le conflit, après Pourquoi l’Ukraine, et pas davantage que dans le premier, Bernard-Henri Lévy ne cherche pas à analyser les complexités techniques, militaires ou diplomatiques de la guerre. Il documente simplement. D’un trait, d’un seul mouvement.

Guerre et plaies

Le tournage de Slava Ukraini (cette devise patriotique signifie « Gloire à l’Ukraine »), réalisé avec Marc Roussel en 2022, n’a pas dû être de tout repos. Les portières claquent, des drones bourdonnent. Une mitraillette posée visiblement sur la table annonce la couleur dès le début du film. Bernard-Henri Lévy mouillera sa chemise à col Danton. L’équipe croise un général habillé sobrement de vert – c’est l’artisan de la contre-offensive ukrainienne – qui l’accueille quelques instants à l’orée d’un bois. Plus loin, un échange est organisé avec un certain Tom qui dirige une unité de combattants en partie étrangers. « Avant, je travaillais chez Rolls-Royce en Angleterre, j’étais ingénieur », sourit l’officier. Les luxueuses calandres sont loin de lui désormais.

Un soldat français de ce même régiment n’en revient pas, face à la caméra, de la « bêtise » des Russes. Dans une autre séquence, un militaire ukrainien fume une cigarette sur un banc et résume sa philosophie à BHL : « Si tu ne crains plus pour ta vie, tu deviens libre. » Du stoïcisme en Kevlar. Ces hommes se montrent souvent accueillants. Ils savent sans doute, Volodymyr Zelensky en a suffisamment donné l’exemple, que la guerre se gagne aussi avec des images.

Lyrisme et emphase

Les familles croisées impressionnent également. Point d’effusion, mais des douleurs rentrées, des confessions du bout des lèvres. Comme celles de cette mère qui n’a pas revu ses filles depuis des mois, disparues durant les affrontements. Elle revient de l’épicerie, paquet de pain de mie dans les mains. La vie, cahin-caha. Bernard-Henri Lévy, après l’enfer bosniaque, après le Kurdistan (il a réalisé en 2016 l’excellent Peshmerga), semble à nouveau enrager : pourquoi n’aide-t-on pas davantage ces cœurs purs ? L’essayiste ne craint ni le lyrisme ni l’emphase. S’il s’est donné rendez-vous avec l’histoire, c’est pour la prendre dans ses bras.

Sous sa plume, les vieux d’Odessa deviennent des « personnages de Zweig », les mineurs de charbon, des « esclaves de Germinal devenus des hommes libres », tels soldats, des héros de « la guerre d’Espagne ». « Puisse ce film sans fin, et que nous livrons alors que l’ange de l’histoire hésite encore, puisse-t-il armer les cœurs et les âmes », déclame-t-il en conclusion, avant de vouer une dernière fois aux gémonies ceux qui tardent trop à redonner des armes.


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