Les jeunes filles sont éprises de sa pâleur distinguée ; les dames les plus mûres rêvent de lui coller des ventouses, et les photographes n’ont d’yeux que pour ses chemises blanches élégamment décolletées.

Dans l’hôtel de luxe où il a élu domicile, Bernard-Henri Lévy est bien tel qu’on l’a toujours vu sur les images de magazine, pétrifié dans la légende de jeune intellectuel beau et romantique. La pire. En fait, il n’est pas du tout comme ça.

S’il soigne son bon profil devant les flashes des photographes, l’œil est souvent malicieux, pas dupe de la comédie humaine, qu’il maîtrise sans mal, avec plus d’humour que ne le laissent croire ses écrits et ses propos souvent frappés d’une grandeur imaginaire. B.-H. L. a trop joué à « si j’étais Malraux, Chateaubriand, Baudelaire et Cie »… Enfin, la réalité rejoint la rêverie, Bernard-Henri Lévy s’est amusé à écrire une pièce de théâtre : Le Jugement dernier.

« J’avais très peur du théâtre parce que, dans mes romans, j’écris très peu de dialogues, par exemple. À ma grande surprise, je n’ai jamais autant ri de ma vie qu’en travaillant sur ce texte. C’est une pièce comique. Je dirais même : elle comporte des éléments de farce. »

Avec un titre pareil, pourtant, Le Jugement dernier, cela ne saute pas aux yeux. Mais B.-H. L. a plus d’un tour dans son sac. Il s’agit de parler du siècle, « un projet ambitieux, démesuré, risqué », mais de l’évoquer par l’intermédiaire de sept témoins qui donnent naissance à sept scènes aux allures de tableaux. Il n’est pas question d’appeler à la rescousse Hitler, Staline ou Mao, mais de faire comparaître à l’occasion d’une audition sept pauvres bougres, rouages d’un siècle barbare.

« La grande hérésie du XXe siècle fut de croire qu’on pouvait supprimer l’idée du mal. Rien n’est plus effrayant que la volonté de pureté. Rêver d’une société parfaite, c’est le rêve effroyable par excellence. Le XXe siècle, avec l’éclosion du communisme, a créé la pire des situations : la servitude volontaire. »

Mais, coup de théâtre, B.-H. L. invite à sa table de jeu non pas les maîtres du communisme ou du nazisme, mais la dernière infirmière de Lénine (Gisèle Casadesus), vieille russe de quatre-vingt-douze ans, ou le chef de gare du IIIe Reich qui regarde passer les trains pleins, puis vides, sans jamais se poser de questions, ou encore un intellectuel français, le Professeur (Jacques François), qui pourrait ressembler à Althusser, le maître à penser du maoïsme.

« On ne comprend rien à la folie chinoise sans la pensée française », ajoute B.-H. L. Pour mieux faire mentir sa réputation de beau ténébreux qui se prend au sérieux, il avoue se moquer de lui-même en convoquant un personnage auquel il ne fait pas de cadeau : défenseur des grandes causes humanitaires. Nous verrons encore un cardinal pas très catholique, un peu mafieux sur les bords, un apôtre du charity business et un pantin politique, maire de Saint-Chamind ! Rires garantis si l’on en croit Bernard-Henri Lévy. Tous appelés à la barre par Anatole (Pierre Vaneck), le maître de cérémonie de ce vaste procès-spectacle secondé par Maud (Arielle Dombasle).

Lui, l’écrivain en détresse amoureux de la belle Maud pour qui il invente une fable insensée pour la séduire à nouveau. Anatole, petit frère de Mallarmé, qui reprend à son compte le joli mot du poète en le décalant un peu : « Le monde est fait pour aboutir à un beau spectacle. » Elle, l’assistante apparemment soumise, la compagne passionnée qui se révélera ambitieuse, combative.

La femme n’est-elle pas l’avenir de l’homme ? « Un homme meurt, une femme se lève », rétorque Bernard-Henri Lévy. Une pièce d’amour traversée par des visions politiques : « Plutôt qu’accepter l’idée de médiocrité, je dirais qu’il faut admettre le caractère d’insuffisance et d’imperfection de l’humanité. Ce n’est pas parce que le XXe siècle nous a appris à rester modestes face au grand rêve de régénération qu’il faut se conformer à un ordre du monde régi par X ou Y. Mais il y a révolte et révolte. Je dirais avec Camus qu’il faut se méfier des révoltes au nom du bien. Cela aboutit au terrorisme. En revanche, j’appartiens à ceux qui se révoltent par horreur du mal et militent pour des valeurs de liberté ou de démocratie. Ces idées sont reprises par un de mes personnages, le plus positif de la pièce, Tchen, le héros de la place Tian An Men. J’ai voulu également traduire ce qui se passait dans la tête d’un héros. Il y a des passions, des humeurs, des orgueils. Le héros est un être trempé dans un métal complexe, souvent inattendu. »

Si Bernard-Henri Lévy convoque le XXe siècle au tribunal de l’Histoire, il entend bien poursuivre sa démonstration dans l’avenir : « Je crains qu’on n’en ait pas fini avec les rêves de pureté. Voyez du côté de l’islam ou de l’Europe orientale ce qui se passe. L’intégrisme, avec son cortège cauchemardesque d’intolérances, nous guette. Qu’est-ce-qui nous attend ? Le XXIe siècle risque d’être effroyable. »

Pièce d’amour, pièce politique, pièce prophétique, Le Jugement dernier mêle le réel et le fictif, la fantaisie et la vérité dans une fresque aux couleurs du temps. Ainsi Bernard-Henri Lévy peut vérifier le mot de Louis Jouvet : « Rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, rien de plus nécessaire que le théâtre. »


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