JEAN-SÉBASTIEN STEHLI : En 1968, il y a eu 30 000 morts de la grippe de Hongkong en France : les gens mouraient sur les trottoirs, pourtant, personne ne s’en souvient. D’où vient la peur qui nous a saisis en 2020 ?
BERNARD-HENRI LÉVY : C’est d’abord, bien sûr, le signe rassurant que le monde sacralise enfin la vie. Mais on a aussi été victimes d’une hystérisation, une folie collective alimentées par les réseaux sociaux et les médias matraquant le chiffre des morts. On est entrés, cette fois pour de bon, dans le monde parallèle des chaînes d’infos.
JSS : À vous lire, on pourrait croire que c’est la fin de la civilisation !
BHL : Non. Mais, au minimum, une sacrée crise de civilisation ! L’idée qu’un sujet est un peu plus qu’un corps, sain ou moins sain, s’est ainsi totalement absentée de nos esprits. Et l’idée, à l’inverse, que rien n’est plus important que la santé, qu’il n’y a rien dont nous devons avoir plus peur que de la maladie, est, elle, complètement nouvelle.
JSS : Vous reprochez aussi aux médecins un abus de pouvoir. Vous évoquez même le régime de Vichy et la soumission à un ordre médical. C’est un peu fort, non ?
BHL : Le politique a fait exactement ce que Platon recommandait de ne pas faire : il a laissé les rênes aux médecins. C’est la pire des solutions. Les médecins ont tendance à traiter les humains comme des corps. Or, quand on traite les humains seulement comme des corps, on passe sur le reste, on oublie l’âme, le trait de foudre ou la part de lumière, qui singularise chacun, et on va, en effet, vers des choses terribles. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que l’on ne peut plus dire adieu aux mourants. La première fois qu’on les inhume clandestinement. Avec cela, on entre dans le règne de l’inhumain. Une amie est morte du Covid. Je n’ai pas pu aller à son enterrement. Je me le reprocherai toute ma vie.
JSS : Vous êtes irrité que l’on puisse dire qu’il y a un enseignement à tirer de cette crise. Vous ne pensez pas que le virus nous aide à réfléchir au monde actuel ?
BHL : Le virus est né sur un marché de Wuhan, d’un pangolin. Je ne vois pas ce que cette affaire a à m’apprendre sur mon comportement ! Des leçons, bien sûr qu’il y en a à tirer pour être mieux préparés la prochaine fois. Mais les gens qui nous disent « le virus est un châtiment profane pour les fautes commises contre la Terre », pardon, mais c’est une réplique de gauche du discours pétainiste.
JSS : Le virus ne nous a-t-il pas aidés à réfléchir sur nous-mêmes ?
BHL : Quand les gens disent : « Ce qui est important c’est le retour sur soi, c’est retrouver les vraies valeurs… », attention ! Les vraies valeurs ce n’est pas le retour sur soi. La relation humaine la plus importante n’est pas, comme on le lisait sur Instagram, la relation avec soi-même. Je n’ai rien contre la relation avec soi. Et c’est très beau, la relation avec sa famille. Mais ce n’est pas la relation la plus importante. Ce qui fait un humain, c’est qu’il est capable, et soucieux, de nouer des relations avec des gens qui ne sont ni de sa parentèle ni de sa proximité. On s’est replié sur soi, sa famille, son immeuble. Or ce n’est pas ça l’humanité !
Le confinement était inévitable, mais il n’y a pas à en être fier : ce fut un moment piteux. Il nous a contraints à des réactions qui ne faisaient pas honneur à notre meilleure part. Ceux qui ont remplacé le contrat social par le contrat vital sont prêts à vivre dans des abris aseptisés où on ne laissera plus entrer aucun virus et où la vie sera réduite à sa plus simple expression. Voilà ce qui me navre. Voilà le fameux monde d’après – et je le redoute.
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