PARIS – Qu’il s’agisse de ses fréquentes apparitions à la télévision, de sa chronique hebdomadaire dans le magazine Le Point, de ses discours lors de manifestations publiques ou de son nouveau livre, Solitude d’Israël, Bernard-Henri Lévy prend résolument fait et cause pour l’État juif. En tant que personnalité juive de premier plan dans un pays en proie à un antisémitisme généralisé et à l’hostilité envers Israël, il est plus que jamais la cible d’insultes, voire de menaces pour sa sécurité personnelle.

Auteur de 48 livres et de milliers d’articles, de chroniques et de discours depuis le début de sa prolifique carrière, BHL est rarement à court de mots. Interviewé récemment par le Times of Israel dans son appartement parisien rempli d’œuvres d’art, lorsqu’on lui a demandé si la violence des attaques contre lui le dérangeait, il a marqué une courte pause avant de répondre.

« Très sincèrement, je m’en moque », nous confie BHL, 75 ans, vêtu de sa fameuse chemise blanche ouverte et de son costume noir. « Je ne pense pas souvent à la haine que je m’attire en défendant Israël. Mais d’après ce que je vois sur les réseaux sociaux, cette haine est manifestement considérable ».

Lévy se trouvait à Paris le 7 octobre, lorsqu’il a entendu la nouvelle du pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas dans la bande de Gaza, au cours duquel près de 1 200 personnes ont été massacrées dans le sud d’Israël et 251 autres enlevées et emmenées dans la bande de Gaza. Le lendemain matin, par « réflexe, par instinct », selon ses termes, il s’est envolé pour Israël par solidarité et pour témoigner dans les médias de ce qui s’était passé.

« Je suis immédiatement descendu dans le sud. Je suis arrivé d’abord à Sderot le soir du 8 octobre », raconte Lévy, qui a passé les jours suivants dans d’autres endroits ravagés par les terroristes du Hamas, notamment dans les kibboutzim et sur le site du massacre de Festival Nova.

« J’ai été réellement bouleversé par ce que j’ai vu. Les signes de barbarie étaient visibles partout », raconte-t-il. « Comme tout le monde, j’ai été dévasté. Je me suis senti impuissant. J’ai promis aux survivants que j’ai rencontrés à Kfar Aza et à Beeri, ainsi qu’aux familles d’otages et à mes amis israéliens, d’écrire sur l’horreur qu’Israël venait de subir et sur ses conséquences ».

L’ouvrage qui en résulte, Solitude d’Israël, a été publié en français au printemps et paraîtra en anglais en Amérique du Nord en septembre sous le titre Israel Alone.

Mêlant reportage, réflexions, flux de conscience et cri du cœur, le livre propose une analyse passionnée et instructive de la solitude d’Israël après le 7 octobre et de son impact sur les Juifs de la diaspora. Il explique en quoi la guerre de Gaza est existentielle pour Israël et quels sont les enjeux pour le monde, en particulier pour l’Occident, tout en réfutant les fausses accusations portées contre Israël.

Lévy a dédié Solitude d’Israël aux otages toujours aux mains du Hamas au moment de la rédaction de l’ouvrage, en les énumérant par ordre alphabétique au début du livre, qui comprend trois parties : « Le 7 octobre et après », « Le négationnisme en temps réel » et « Histoire et vérité ».

« Mon désir d’écrire un livre sur Israël n’était pas nouveau », a expliqué Lévy. « Ce désir remonte à de nombreuses années. Sans doute ne l’avais-je jamais fait jusqu’à présent parce que j’estimais que les circonstances n’étaient pas pressantes, mais l’ampleur du 7 octobre a tout changé. Cela m’a donné un puissant élan pour écrire enfin un livre sur Israël. J’ai ressenti un besoin urgent de le faire, de rendre hommage aux victimes et de lutter contre l’ignorance souvent volontaire concernant Israël et le sionisme. »

L’odeur du lait aigre

Dès les premières pages, Lévy partage avec le lecteur ce dont il a été témoin.

« Je ne suis pas près d’oublier : ni l’odeur de lait aigre qui régnait dans les maisons mitraillées, désossées, à demi brûlées et qui, avec leurs armoires de hêtre blond dont l’humble contenu avait volé à travers les pièces, semblaient avoir survécu à un ouragan ; ni les rues joliment dessinées, bordées de maisons coquettes, avec leurs jardinets intacts où s’étaient tus, et le son de la voix humaine, et le chant des oiseaux ; ni le témoignage des survivants et sauveteurs qui, tous, racontaient le ramassage des morts dont certains étaient décapités et dépiécés, d’autres carbonisés, d’autres le corps percé de balles et les mains déchiquetées comme s’ils s’étaient battus jusqu’au dernier instant ; ni, enfin, le hangar aux légumes où l’on avait entreposé des morceaux de corps non attribués que l’on venait de ramasser – petit entassement, chairs indistinctes et entrevues, odeur épaisse. »

Plus loin dans le livre, il qualifie les atrocités commises par le Hamas de « mal radical », ajoutant : « Plus que l’âme israélienne ou juive assassinée [le 7 octobre], c’est notre conscience commune qui l’a été. Plus qu’un pogrom monstrueux qui a ramené la mémoire juive 80 ans en arrière, il s’agissait d’une nouvelle déchirure dans le fragile vernis de la civilisation qui, pendant des années, a maintenu le monde juste au-dessus de l’abîme moral. »

Tout au long du livre, dans son style érudit habituel et reflétant sa vaste connaissance de l’histoire, Lévy fait allusion à toutes sortes d’événements passés pour étayer son propos. Il cite également 185 personnalités, souvent bien connues, certaines dans un contexte positif, d’autres non, dont Jean-Paul Sartre, Andy Warhol, Primo Levi, Gershom Scholem, Flavius Josèphe, Sigmund Freud, Platon ou encore Joseph Staline.

S’inscrivant dans la tradition de la très célèbre lettre ouverte « J’Accuse » d’Émile Zola, écrite en 1898 pour défendre Alfred Dreyfus, ce Juif français injustement accusé et condamné pour espionnage au profit de l’Allemagne à une époque où l’antisémitisme était aussi largement répandu, Lévy déplore avec colère l’abandon d’Israël par la communauté internationale. Il dénonce ceux qui nient ou minimisent les meurtres de masse, les tortures et les violences sexuelles perpétrés par le Hamas le 7 octobre et s’en prend à ceux qu’il accuse de vilipender injustement l’État juif et sa riposte. Les cibles ne manquent pas, du secrétaire général de l’ONU António Guterres au politicien français controversé Jean-Luc Mélenchon, chef du parti « La France Insoumise », dont la rhétorique sulfureuse a favorisé la haine antisémite en France.

Des choix difficiles pour les Juifs de France

La question de l’antisémitisme a joué un rôle prépondérant dans les élections législatives anticipées en France, en raison des positions du Nouveau Front populaire et du Rassemblement national. Juste avant le premier tour, Lévy a admis son dilemme, écrivant dans The Free Press : « Pour un libéral classique et un Juif fier de l’être – et je suis les deux – les choix sont terribles ».

Dans la tourmente politique qui a suivi les résultats, Lévy était à cran.

« C’est un moment glaçant », avait-il confié au Times of Israel au lendemain du second tour des élections. « Compte tenu du fort soutien apporté au Nouveau Front populaire et, dans une moindre mesure, au Rassemblement national, nous nous trouvons dans une situation difficile et désagréable, en particulier pour les Juifs de France, mais il ne faut pas désespérer. Nous devons continuer à lutter contre ceux qui sont liés à l’antisémitisme. »

Lévy a critiqué certains aspects de l’élection.

« Il s’est passé quelque chose de très étrange et surtout de très dangereux pour les Juifs », a-t-il souligné. « Ils ont été subitement mis au cœur de la campagne électorale. Cela n’était pas arrivé depuis l’affaire Dreyfus et c’est très significatif. Les Juifs se sont retrouvés coincés entre les antisémites honteux du Rassemblement national et les antisémites déclarés de la France Insoumise, qui est ouvertement antisémite. Son leader, l’infâme Jean-Luc Mélenchon, parle comme Édouard Drumont [journaliste et homme politique français fervent antisémite mort en 1917] et agit comme Jacques Doriot, l’ancien dirigeant communiste devenu nazi en 1940. »

Cela ne semble pas être de bon augure.

« Je crains une résurgence de l’antisémitisme en France parce que la boîte a été ouverte », a affirmé Lévy. « Être antisémite aujourd’hui n’est plus aussi tabou. Depuis le 7 octobre, il est permis d’être antisémite. Les naïfs pensaient que les actions du Hamas le 7 octobre déclencheraient un sentiment de compassion et de solidarité du monde entier en faveur d’Israël et des Juifs. Malheureusement, c’est tout le contraire qui s’est produit. La boîte de Pandore a été ouverte, permettant aux plus antisémites de déverser leur haine contre les Juifs. Je pense que nous aurons du mal à faire entrer le diable dans la boîte. Mais nous devons le combattre. »

« Bien sûr que je suis inquiet, mais je n’ai pas le temps d’être déprimé ni désespéré, même si j’ai le sentiment que nous vivons une situation inédite, que nous sommes dans une véritable situation d’urgence », a-t-il expliqué. « Certes cette situation est assez préoccupante et nous avons tous un rôle à jouer dans ce combat pour la vérité », a-t-il ajouté.

« En 1982, j’écrivais que l’antisémitisme prendrait le visage de l’antisionisme pour devenir un mouvement de masse, que ce nouveau visage serait accepté par des foules immenses et qu’il déclencherait une violence sans précédent. Cette violence, je l’ai vue se propager d’année en année et elle est en train de se généraliser. Jusqu’où peut-elle aller ? L’enfer est la limite ».

Un rendez-vous secret avec Israël

Pour Lévy, Israël offre un répit par rapport à la politique française.

« Je pense que la plupart des écrivains juifs, où qu’ils vivent, ont tôt ou tard un rendez-vous secret avec Israël », déclare-t-il en buvant une tasse de thé. « Tôt ou tard, la plupart d’entre eux en viendront à mieux connaître Israël. »

Le premier rendez-vous de Lévy avec Israël remonte à 1967, lorsqu’à l’âge de 19 ans, il est arrivé vers la fin de la guerre des Six Jours. Il affirme avoir visité le pays plus de 75 fois depuis lors, dont trois fois depuis le 7 octobre.

« Ce qui m’amène si souvent en Israël, c’est l’amour que je porte à ce pays et à son peuple », a expliqué Lévy, qui possède également une maison à Marrakech, au Maroc. « Je me sens bien en Israël, je me sens chez moi. J’aime être là-bas. Je n’y viens pas par besoin personnel ou par obligation. Pour moi, c’est plus qu’un plaisir d’être en Israël, c’est un désir profond ».

Né en Algérie, Lévy s’est installé à Paris avec sa famille alors qu’il était bébé. Il s’est fait connaître au milieu des années 1970 en tant que cofondateur du mouvement des « Nouveaux philosophes », un groupe de jeunes écrivains qui ont présenté une critique morale des dogmes néo-marxistes et socialistes qui ont longtemps dominé la vie intellectuelle française. Depuis lors, il embrasse un antitotalitarisme post-moderne et un libéralisme centriste, écrivant de nombreux livres, principalement de non-fiction, et réalisant des films documentaires.

Comme on pouvait s’y attendre, Solitude d’Israël, qui soutient fermement l’État juif à une époque où tant de gens se sont retournés contre lui, a alimenté ses détracteurs et lui a valu de nombreuses insultes, voire pire.

Mais même les menaces les plus graves ne l’ont pas découragé. Les premières remontent à il y a une vingtaine d’années, au lendemain de la publication de son livre sur l’enlèvement et la décapitation du journaliste juif américain Daniel Pearl au Pakistan, en 2002, par des terroristes islamistes. Interrogé sur les mesures prises pour le mettre à l’abri, il a fait preuve d’une rare réserve, indiquant qu’il serait imprudent d’en parler en public.

Parallèlement aux informations diffusées par les médias selon lesquelles Lévy bénéficiait d’une protection policière permanente depuis de nombreuses années, le Washington Post a révélé en 2022 que l’Iran avait engagé un trafiquant de drogue iranien pour assassiner Lévy à Paris. Quelques mois plus tôt, le Wall Street Journal avait fait état d’un autre complot iranien visant à l’assassiner. En 2009, son nom apparaissait sur une liste de suspects établie par un groupe islamiste basé en Belgique.

Lévy a pris certaines précautions, notamment en demandant que la localisation de son domicile parisien ne soit pas mentionnée dans l’article, ni même la rive (gauche ou droite) sur laquelle il se trouvait. Il a également demandé que les photos prises dans l’appartement qu’il partage avec sa femme, la chanteuse et actrice Arielle Dombasle, ne montrent pas la vue depuis les fenêtres, afin de ne donner aucune indication sur leur lieu de résidence.

« L’État français fait son travail pour me protéger », dit Lévy à propos de sa sécurité. « Mais je n’ai pas peur. Dans ma vie, j’ai connu des situations bien plus difficiles que cette réalité française. »

Il s’est trouvé dans des situations dangereuses à l’étranger. En 1971, à l’âge de 22 ans, il a quitté la France pour couvrir la guerre d’indépendance du Bangladesh contre le Pakistan. Depuis, il a risqué sa vie à de nombreuses reprises dans d’autres zones de conflit, telles que le Soudan, l’Irak, la Libye, la Syrie, le Kurdistan, la Bosnie, le Nigeria et le Rwanda, en tant que correspondant de guerre et réalisateur de documentaires, afin d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les violations des droits de l’homme et les injustices flagrantes.

Depuis deux ans et demi, il a passé beaucoup de temps sur les champs de bataille de l’Ukraine, depuis l’invasion russe, et a réalisé plusieurs films. Son dernier film, Glory to the Heroes, tourné l’été dernier, montre la lutte acharnée des Ukrainiens pour défendre leur pays. Une lutte que Lévy compare aujourd’hui à la guerre d’Israël contre le Hamas, soulignant que dans les deux cas, il s’agit d’une bataille pour défendre les valeurs de liberté et de démocratie.

Il a récemment affirmé que l’avenir des Juifs n’était assuré nulle part, pas même en Israël, et son inquiétude est palpable dans Solitude d’Israël.

« Les Juifs sont seuls donc », écrit-il. « Décidément et dramatiquement seuls. Et leur solitude est d’autant plus tragique que cette grande petite nation qu’est Israël, ce mince lambeau de terre attaqué de tous côtés et conspué par des milliards d’hommes qui ont oublié ce qu’ils lui doivent, ce peuple toujours coupable, toujours fautif et, quoi qu’il fasse, voué à l’opprobre, est pris entre ces deux feux, ballotté comme une poupée, écartelé entre les libéraux qui lui ressemblent mais le désavouent et les illibéraux qui ne lui ressemblent pas mais le défendent. Mais voilà. La tragédie, c’est grec, ce n’est pas juif. La grande affaire d’un Juif n’est pas, tel Œdipe à Colone, de vérifier que les dieux sont cruels et que des forces inconciliables régissent le monde dans son dos – elle est de survivre. Et, de ce point de vue, les Juifs sont plus seuls, oui, qu’ils ne l’ont jamais été. Ou, peut-être, le contraire. Peut-être le sont-ils, seuls, comme il a toujours été dit qu’ils le seraient et est-ce plus désespérant encore ».


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