C ’est un « supplice » élevé au rang « d’événement » à portée « historique » que décrit d’abord Bernard-Henri Lévy. Le philosophe engagé qui était en Israël au lendemain du 7 octobre 2023, jour de l’attaque perpétrée par les terroristes du Hamas, a tiré de ce supplice, un terme emprunté à Zola, de multiples interrogations et un livre. Intitulé Solitude d’Israël (éditions Grasset), il s’interroge sur le soutien réel du « monde libre » en faveur d’une « démocratie multiethnique ». Un « J’accuse » dont il viendra parler à la grande synagogue de Marseille, mercredi 3 avril. Une soirée de « solidarité » à l’initiative du Fonds social juif unifié (FSJU).
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Vous parlez d’un événement historique en comparant le 7 octobre au 11 septembre 2001 ou à l’invasion de l’Ukraine. Pourquoi ?
Un événement historique est quelque chose d’inédit. Il ne ressemble à rien de connu et semble écrit selon un scénario nouveau. C’est aussi un événement qui change la face du monde et redistribue les cartes du grand jeu mondial. C’est tout cela, le 7 octobre.
Quelle est la particularité de cet événement ?
La cruauté. L’acharnement dans le sadisme. Et, surtout l’absence de honte et l’étrange volonté de montrer au monde l’horreur de ce qu’on vient de faire. Les nazis ont commis le pire. Les staliniens aussi. Mais ils le cachaient. Ils effaçaient les traces. Là, non. Les violeurs, les éventreurs, les commandos de la mort du Hamas se sont filmés. Et ils ont posté leurs images…
À quoi est liée cette volonté ? À la banalisation de la violence sur les réseaux sociaux ?
Pour être précis, ce n’est pas tout à fait la première fois. Al-Qaïda a fait la même chose, il y a vingt ans, en postant les images de la décapitation du journaliste américain Daniel Pearl. Puis, quelques années plus tard, Daech a filmé en direct des décapitations en série. Il y a là quelque chose qui est spécifique à cette sorte de fascisme qu’est l’islamisme radical.
Israël et l’Occident paraissent déboussolés…
Bien sûr. Tout le monde s’est interrogé sur le fait qu’Israël n’ait rien vu venir. C’est parce que cet événement était inimaginable. Cette façon de violer une femme en même temps qu’un autre lui découpe les seins au cutter, lui plante des clous dans le corps ou l’exécute dépasse littéralement l’imagination.
En ne regardant pas en face cette ultra-violence, on a laissé Israël un peu seul ?
Oui. Et c’est d’une injustice, d’une cruauté morale que j’ai du mal, je vous l’avoue, à comprendre. Face à Al-Qaïda en Afghanistan, le monde libre était au rendez-vous. Dans la bataille de Mossoul, il y avait, face à Daech, une grande coalition, une vraie solidarité internationale. Là, contre le Hamas, c’est le troisième épisode de la même guerre. Et le petit Israël est fragile et seul en première ligne.
Comment l’expliquez-vous ?
On vit une période d’affaissement moral, de lassitude collective et de démission générale en Occident. Il y a aussi quelque chose qui concerne directement Israël : ce déchaînement de haine, ces cris de « mort aux Juifs » qu’on a entendus dès le lendemain du 7 octobre. Ce déchaînement explique bien des choses. Prenez le cas d’un Joe Biden. Ami solide d’Israël. Mais il voit monter la vague, il entend gronder la haine et il recule.
Doit-on effectuer un « coup de balai » intellectuel face aux mélanges volontaires entre antisionisme et antisémitisme ?
Je ne dirai pas « coup de balai ». Mais ce livre est fait, oui, pour déconstruire le monceau d’erreurs, de fausses informations, d’infamies qui s’écrivent sur Israël et les Juifs. Je démontre aussi, sans faux-fuyant, que l’antisionisme est la seule forme possible de l’antisémitisme aujourd’hui.
Les Français sont-ils armés pour résister au wokisme qui fait des ravages aux USA ?
Non, bien sûr. D’autant que ce wokisme, on ne le sait pas assez, a son véritable berceau en France. Tout ça vient d’une lecture débile, mais d’une lecture quand même, de penseurs français que je connais bien. Michel Foucault. Jacques Derrida. D’autres.
Avez-vous, vous-même, cette impression de solitude ? De fatalisme ?
Oui. Mais peu importe. J’ai l’habitude de mener des combats minoritaires. Ce n’est pas grave d’être seul. C’est le destin d’un écrivain.
Mais vous êtes un combattant, un homme engagé…
Exact. C’est pourquoi j’ai écrit ce livre. La partie n’est pas perdue. La vérité peut toujours triompher. Ce livre est une sorte de « J’accuse ». Comme au temps des dreyfusards. Parce que le dernier mot ne doit pas rester au caniveau, c’est-à-dire aux réseaux sociaux. Il y a une bataille pour la vérité. Et il faut la gagner.
La solution à deux États est-elle la seule et la plus raisonnable ?
C’est la plus raisonnable, oui. Et je ne crois pas qu’il y en ait une autre. Mais il y a une condition pour que cette idée renaisse. C’est que le peuple palestinien se débarrasse une fois pour toutes, non seulement du Hamas, mais des idées que le Hamas a mises dans les esprits. C’est pourquoi une victoire, ou même une semi-victoire, du Hamas serait une catastrophe. Il renverrait aux calendes l’idée même d’un État palestinien. Il faut que le Hamas soit vaincu.
Éradiqué ?
Je n’aime pas ce mot. Mais c’est l’idée. On ne combat pas une idée par la guerre, disent certains. OK. Mais est-ce que le national-socialisme n’était pas aussi une idée ? Il n’a certes pas été éradiqué. Mais il a été vaincu. Et il est devenu minoritaire. Pareil pour le Hamas et ceux qui le soutiennent. Il restera toujours des gens fidèles à ses idées génocidaires. Mais ils deviendront marginaux.
Sommes-nous dans un conflit de civilisation contre l’islamisme radical ?
Non. Nous sommes aussi en conflit, par exemple, avec la Russie orthodoxe de Poutine. Laquelle, d’ailleurs, soutient le Hamas. C’est une chose dont on parle peu mais que je rappelle dans le livre. Les dirigeants du Hamas ont été reçus à Moscou avant et après le 7 octobre. Les dirigeants du Kremlin ont dit et répété, depuis, qu’ils étudiaient la manière d’intensifier leur soutien à cette armée de terroristes. La Chine aussi refuse de qualifier de terroriste le Hamas. Elle a laissé déferler une campagne d’antisémitisme sans précédent. Et elle porte à bout de bras l’Iran, qui est le vrai parrain du Hamas. Bref, on n’est pas face à un affrontement de religions.
Quoi alors ?
Un affrontement politique, gigantesque et à l’échelle mondiale. Si vous tenez à parler de civilisations, alors il faut dire : la liberté contre la tyrannie, la démocratie contre la dictature, ou le mal contre le moindre mal.
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