« Paris brûle-t-il ? » interroge Hitler, qui en a ordonné ainsi, à l’été 1944.

De Néron, Gengis Khan et tant d’autres ravageurs démoniaques jusqu’à Pol Pot, Mladic et Bachar el-Assad, les grands barbares politiques, de tout temps, ont haï les villes. Et la mise à mort des villes est la marque, par excellence, de leur passage terroriste dans l’Histoire.

Réduire les villes, les assiéger, les affamer, les martyriser, vider les villes, les raser. En finir avec l’esprit des villes, ces Babel cosmopolites, en finir avec leurs agora citoyennes, avec ces mémoires vivantes, ces conservatoires de pierre et de mots, ces fabriques d’humanité au quotidien : tel est le programme commun aux barbaries sous toutes les latitudes et à toutes les époques. Villes libres, villes rebelles, villes damnées ! Hier, Sarajevo, Pnom Penh, Kaboul, Grozny, Beyrouth le payèrent dans le sang et les ruines.

Aujourd’hui plus que jamais, la mort barbare plane sur Homs et Alep.

Pour ma génération ce mal, cette douleur, ce crime contre les hommes et contre l’esprit ont un nom : Sarajevo. Souvenez-vous. Un siège de plus de mille jours. Les snipers sur les collines tirant sur les passants courant dans les rues. Les obus semant la mort sur les marchés. Dix mille civils morts, assassinés en pleine ville. L’Europe « impuissante », l’Europe du « Plus jamais ça, plus jamais la guerre,plus jamais Auschwitz » laissant faire trois ans durant, au cœur même du vieux continent, cet urbicide jour après jour. L’Europe se reniant, se déshonorant.

Contre ce lâche abandon qui rappelait tant l’Espagne républicaine de 1936, des milliers d’Européens se mobilisèrent pour Sarajevo. Trois ans durant, simples citoyens, militants, intellectuels, artistes, journalistes, humanitaires se succédèrent sur les bords de la Miljacka, partageant un temps le sort des habitants de Sarajevo, rendant compte de la barbarie des tueurs sur les collines et, sous leurs yeux, de la résistance admirable de dignité de la population.

L’Europe commençait chaque jour et finissait à Sarajevo.

Deux parmi ces témoins engagés aux côtés des Sarajéviens, l’écrivain ex-yougoslave et grand méditerranéen Predrag Matvejevic et le philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy, viennent d’être faits citoyens d’honneur de la ville de Sarajevo.

Sarajevo, où Lévy et l’auteur de ces lignes, entrèrent au tout début du siège, au printemps 92, rencontrèrent le président Izetgebovic, tournèrent le film Bosna ! ainsi que sur les fronts adjacents en 1993-94. Sarajevo où Lévy, dans son journal de guerre, Le Lys et la cendre, entre deux allers et retours entre la ville captive et les capitales occidentales où il battait le rappel des consciences, raconte ce concentré bosniaque de l’esprit européen, peint ce carrefour des cultures ottomane, mitelleuropéenne, balkanique, ville à la fois musulmane, orthodoxe, catholique et juive. Sarajevo apparaît comme une petite Jérusalem, un miracle de tolérance et de mixité au cœur de la tempête ethnocidaire et nationaliste qui emporta la Yougoslavie.

On y respirait un parfum d’urbanité multi-centenaire dans les rues de la vieille ville où se côtoyaient les cultes, le passé et la modernité, où résistaient silencieusement les milliers de Bosniaques, Serbes et Croates solidaires, restés fidèles à leur ville aimée et à eux-mêmes. C’est ce témoignage d’extrême civilisation au coeur de la barbarie et lui tenant tête victorieusement, c’est cette Leçon de Sarajevo dont Lévy se fit le propagandiste inlassable pendant quatre ans, c’est cela que la ville, vingt ans plus tard, vient, en juste miroir d’elle-même, de saluer, en le faisant citoyen d’honneur, avec Matvejevic. Lévy sarajévien. Oui. Merci à Sarajevo.

Et rendez-vous là-bas, de nouveau, en juin prochain pour un anniversaire étrange. 1914, attentat de Sarajevo. Dont Sarajevo aura payé le prix, des décennies plus tard, d’une guerre sans merci puis de la division ethnique du pays. Sans que justice, à ce jour, lui ait été rendue

Bernard-Henri Lévy nommé citoyen d’honneur de Sarajevo (AFP, jeudi 1er août 2013)

La ville de Sarajevo a décidé de nommer le philosophe et écrivain français Bernard-Henri Lévy citoyen d’honneur pour avoir témoigné des souffrances du peuple bosnien pendant la guerre de 1992-1995. « M. Lévy a témoigné par ses écrits et ses films des crimes des agresseurs en Bosnie, surtout à Sarajevo », a déclaré à l’AFP le vice-président du Conseil municipal, Gradimir Gojer. « S’il y avait quelqu’un qui parlait à l’époque de la vraie situation en Bosnie, c’était lui. Il a mérité d’être citoyen d’honneur de Sarajevo », a-t-il souligné.

Une plaque de la ville de Sarajevo sera remise à Bernard-Henri Lévy soit le 25 novembre, à l’occasion de la Fête nationale de la Bosnie-Herzégovine, soit le 6 avril, à l’occasion de la Fête de la ville de Sarajevo. Comptant parmi les plus fervents défenseurs européens de la cause bosnienne dans les années 1990, le philosophe a tourné en 1994 un documentaire montrant les horreurs du siège de Sarajevo et accusant ouvertement la passivité de la communauté internationale. Il a également publié en 1996 l’ouvrage Le Lys et la cendre, journal d’un écrivain au temps de la guerre de Bosnie.


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