Ces derniers temps, dans les diners en ville, on ne parlait que du Diable en tête. Certains adversaires du Testament de Dieu ou de L’Idéologie française se muaient soudain en inconditionnels du Lévy romancier. Tel n’est pas mon cas : j’ai toujours eu un préjugé favorable pour Bernard-Henri Lévy et je me souviens lui avoir consacré un papier dans Information Juive qui me valut les foudres d’un homme exerçant la fonction de pion dans la République des Lettres. Une heure et demie d’entretien avec Lévy m’a permis de constater que ce préjugé favorable était devenu une conviction.
Difficile en effet de ne pas être séduit par la franchise et la clarté de mon interlocuteur. Cela change des discours incompréhensibles dans lesquels se complaisent certains pour masquer leur vide intérieur.
Sur ce point, quoi qu’il en dise, Bernard-Henri Lévy est resté un homme de gauche, mais de la deuxième gauche, néo-rocardienne, qui veut parler « vrai ». Non pas dire la vérité – trop de doctrinaires se chargent de le faire – mais dire ce qu’il faut dire quand il faut le dire. C’est son cas quand il prend position sur Le Pen ou Marchais, ses deux bêtes noires. L’un et l’autre sont allègrement renvoyés dans le même sac avec une verve qui ne doit pas faire oublier le sérieux du propos : « Aujourd’hui, il y a deux foyers du fascisme en France. Il y a le PC et il y a Le Pen. La situation est bougrement compliquée et ça fait du monde. C’est les mêmes et en même temps ils sont différents ».
Ce n’est pas en tenant de tels propos qu’on se fait des amis et Lévy sait que ses livres peuvent provoquer « des réactions d’ordre extra-littéraire, voire des crispations. Cela atteint parfois des sommets. Il y a des réactions qui dépassent les bornes, des règlements de compte ». Rien d’étonnant à cela, il suffit de relire Balzac pour savoir que le « monde littéraire est le théâtre de petites passions, de petites mesquineries, de petites crises et de petites bassesses ». La rencontre de Judéoscope avec Bernard-Henri Lévy n’avait pas toutefois pour but d’enregistrer les réactions au livre mais plutôt de savoir pourquoi le philosophe était devenu romancier. S’agissait-il d’un choix technique ou d’une volonté de renouer avec le roman philosophique du XVIIIe siècle.
Lévy n’hésite pas à le dire : « Il se fait que j’ai voulu tater du roman. Je suis un peu comme Marek Halter, je suis un conteur. J’aime entendre des histoires, j’aime les raconter. J’y prends plaisir et j’ai éprouvé une vraie jouissance à me plonger dans le romanesque pur. Il y a aussi le côté philosophique et un côté fable que je ne m’interdis pas de rapprocher du Candide de Voltaire ».
Cela va toutefois plus loin puisque du Diable en tête ne cache pas avoir toujours pensé que « le roman est une machine d’intelligence du monde sans commune mesure avec l’essai théorique. Le roman en apprend plus long, va plus loin ».
Apprendre quoi ? Bernard-Henri Lévy a voulu faire un roman sur son époque : « J’ai voulu écrire un roman sur le XXe siècle. On vit une époque formidablement romanesque. J’ai voulu m’intéresser à ce romanesque là et en tirer la substantifique moëlle. C’est un roman sur ma génération, sur vous, sur moi, sur les jeunes Européens qui ont aujourd’hui entre 30 et 40 ans et sur les tentations de leur temps ». Ces tentations sont à vrai dire multiples. Cela va de la collaboration au terrorisme en passant par l’Algérie, Mai 68, la dissidence, etc…
En arrière-plan, il y a Jérusalem qui joue pour l’auteur un rôle spécial : « C’est important pour moi de bien dire dans ce livre comment Jérusalem me paraît être le centre métaphysique et le foyer spirituel de la planète. Jérusalem n’est pas seulement une région du monde mais une région de l’être. À ce titre, elle a une incandescence planétaire bien au-delà de sa situation géographique. »
À la page 23 de Judéoscope, Michel Eyal nous livre son point de vue sur la question et vous ne serez peut-être pas d’accord. Un bon conseil pour savoir qui a raison : lisez Le Diable en tête.
Dépêchez-vous avant qu’il n’ait un prix littéraire.
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