Instant 1. Dans un cinéma de Saint-Germain-des-Prés qui lui appartient, il guette les réactions d’un public d’affidés et d’obligés, de compagnons de route et de vieux copains. BHL est assis par terre dans l’allée. Et dans la pénombre, on croit voir passer dans le regard de celui qui aurait voulu être un artiste, cette panique coutumière aux créateurs dans l’attente des réactions amies.
Instant 2. Après la projection, il prend dans ses bras ceux qui viennent rendre hommage au chef de clan et au mécène généreux qui est aussi père aimant, grand frère protecteur et ami fidèle. Alentour, tandis qu’apparaît Arielle Dombasle, ses proches en parlent comme de «notre grand homme». Et sous la moquerie parisienne affleurent l’admiration et l’affection.
Instant 3. De face, le sexygénaire, nageur de long et buveur de thé vert, ressemble moins à l’oiseau de proie grisonnant photographié de profil par Olivier Roller, il y a quelques années. La voix de basse est moins sépulcrale que celle qui dramatise le commentaire du film. Il n’est pas certain que celui qu’on compare à Woody Woodpecker, le pic-vert speedé des dessins animés, soit dénué de cet humour qu’il refuse à ses entarteurs. En tout cas, il a le sens du récit. Il est vif et précis. «Il lit tout, il sait tout», disent ceux qui le connaissent et qui pointent aussi son impatience, son exigence. Sinon, comme on est en phase de promo, il garde en permanence du fond de teint télé sur le visage.
Jusqu’à présent, j’avais refusé l’obstacle. Jamais je n’avais rencontré Bernard-Henri Lévy in vivo, en os et en chair. Cela devait tenir de la couardise de qui ne veut pas être sommé d’adhérer ou de détester, d’une prudence de Sioux envers un sachem de l’agitation intellectuelle, sans oublier le besoin de mise à distance d’un astre constellé de contestation. Cela ne m’a pas empêché de l’évoquer par d’autres biais. Et de m’inscrire souvent en faux contre ses thèses. Il est interventionniste et guerroyeur, je suis plutôt pacifiste honteux. Il valorise la logique capitaliste, j’essaie d’en sortir sans bien savoir comment. Il aime diaboliser le FN, Dieudonné ou les antisémites, je crois que n’existent ni dieu (minuscule à Dieu SVP) ni diable. Il ne se soucie que de géopolitique, je m’intéresse au sociétal. Il rend hommage à Hollande, chef de guerre inattendu pour lequel il revotera, je n’arrive pas à me résoudre à m’y recoller. Mais, sur l’antiracisme et le cosmopolitisme, un accord est sûrement possible…
J’ai tortillé quand la proposition m’est parvenue à l’occasion de la sortie de son documentaire sur les peshmergas kurdes en lutte contre ce charmant Etat islamique qui a le chic pour accélérer des rapprochements imprévus. J’en ai parlé autour de moi, ce qui m’arrive rarement. En phase, les deux têtes de l’exécutif de Libé m’ont plutôt poussé à y aller. Le peuple écrivant a levé les yeux au ciel ou s’est récrié. J’ai fini par me déclencher parce que la dernière der sur notre homme date de quinze ans, et était signée Philippe Lançon. Et puis, il faut toujours saisir l’occasion d’un aparté avec les personnages de son temps, et BHL en est un.
Voilà, cette interminable justification égotiste s’achève. BHL est un stratège média à forte puissance de feu qui brûle absolument et clive abruptement. On dit que son système est daté, que son empire est menacé, que son emprise se relâche. Ce n’est pas certain. Il fut, un temps, actionnaire minoritaire de Libération. Son apparition en der va forcément déclencher les acrimonies des déconstructeurs de l’info. Cela nous vaudra aussi la suspicion des penseurs à la rareté méprisante et à l’autonomie réseauteuse quand BHL est dans la demande de surexposition. Faisons simple, c’est tout seul que je me suis mis dans la panade. Et tant qu’à faire, je vais continuer à dire «je», comme le fait BHL. Ainsi la collusion sera totale avec celui qui assène du péremptoire et de l’anathème mais qui sait aussi convoquer l’épique et le lyrisme. Les ricaneurs trouvent ça pompier. Moi, j’aime assez quand ça parle beau et haut, et tant mieux si ça ronfle.
Il n’a pas fait son service militaire, réformé psy sans l’avoir manigancé. Il n’a jamais tiré un coup de fusil. A Sarajevo, il a refusé de descendre le Serbe qu’il tenait dans son viseur, au grand étonnement du Bosniaque qui lui avait passé son arme. BHL hante les lignes de front depuis des années et, souvent, incite les Occidentaux hésitants à bombarder. Pour autant, il se défend d’aimer ça. Il dit : «Je suis agacé de cette mythologie de la guerre belle. C’est horrible, la guerre. Mais parfois, il y a des guerres justes !»
Sur les champs de bataille, il ne porte pas le battle-dress des enrégimentés, mais son impérial costume noir sur chemise blanche décolletée. Cette panoplie immédiatement identifiable fait de lui un personnage de BD. Homme en noir et blanc, il ne sacrifie à aucun devoir de grisaille, méprise les tièdes consensus et fait valoir bruyamment qu’il y a les bons d’un côté et les méchants de l’autre. En tout cas, c’est ce qu’il sursignifie pour faire avancer les causes qu’il estime justes, même s’il est capable de subtilité quand les projecteurs s’éteignent.
Dans son documentaire, on aperçoit ce jeune général dont il ferait bien un héros mais qui se fait tuer dès le lendemain, et aussi l’un des cadreurs qui manque perdre un bras. Le risque est là, pour lui comme pour les reporters de guerre qui se gardent bien de l’adouber et le tiennent en lisière de leur corporation. Les balles sifflent aussi à ses oreilles même s’il passe de redoutes en fortins kurdes dans de gros 4 × 4 noirs climatisés. Il assure ne pas être accro à l’odeur de la poudre, ni shooté à l’adrénaline du danger. Il a 67 ans, et prétend regarder la mort comme une inconnue incongrue plutôt que comme une compagne redoutée. Il dit : «Je suis toujours dans le présent. Le passé ni l’avenir ne m’intéressent. Je n’ai aucune nostalgie de mon enfance, aucun souvenir non plus.» C’est le propre des êtres solaires que d’avoir construit leur assurance sur la confiance de parents aimants et riches. Une vieille copine : «C’est sa différence avec Onfray.» Onfray est ce rival honni avec lequel aucune trêve n’est permise quand BHL traite généralement de puissance à puissance avec ses contradicteurs. Il lui arrive même de les estimer à la hauteur de leur résistance à son influence tant qu’il n’y a ni trahison ni coups en dessous de la ceinture.
Tous les matins, depuis quarante ans, BHL dicte son journal intime à sa secrétaire. L’homme public véhément est aussi un homme privé secret qui ne se résout pas au dépoitraillé actuel. Il a mis au point un dispositif complexe avec notaires et avocats pour bloquer toute publication qui n’aurait pas reçu son imprimatur. A la date du 7 juin 2016, il y aura peut-être trois mots sur ce portrait qui s’achève ici.
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