Paris Match. Vous êtes témoin actuellement de la contre-offensive lancée par les Ukrainiens…

Bernard-Henri Lévy : Oui. Pour rien au monde je n’aurais manqué ce moment. Je la sens venir depuis si longtemps… Je l’annonce… Je l’espère…. Il était hors de question pour moi, à cet instant, de ne pas être là, sur le terrain, aux côtés de ces femmes et hommes. Avec Marc Roussel, on les a vus souffrir à Kiev. Trembler à Odessa. Reculer à Kherson. Encaisser, à Houlaipole, des bombardements de fin du monde. Et on les retrouve lançant l’une des contre offensives les plus stupéfiantes, les plus audacieuses et les plus tactiquement réussies de l’histoire militaire récente… C’est très impressionnant.

Est-elle à ce point efficace ?

Je vous le dirai dans quelques jours, à mon retour, avec plus de certitude. Mais il me semble, oui. Partout où les Ukrainiens ont attaqué, la ligne adverse a cédé. Dans toutes les villes qu’ils ont libérées, les Russes et pro-Russes ont disparu ou se terrent. Et la plupart des positions défensives que nous avions connues en mars, avril, juin et, encore, avant cela, en 2020, quand nous avions, pour vous déjà, Match, remonté l’ensemble de la ligne de front du Donbass, la plupart de ces positions, donc, sont potentiellement, aujourd’hui, des positions d’attaque.

Quel est l’état d’esprit de l’armée ukrainienne ?

Une euphorie maîtrisée, sans griserie. Mais aussi une colère froide, une rage, à la pensée des familles brisées, des enfances sacrifiées, des maisons qu’on ne retrouvera plus. Et cette question, partout, de la langue russe devenue la langue des bourreaux… Je parlais hier avec un colonel des forces spéciales des garde-frontières de l’Est devenues, là, face à Lyman, l’un des fers de lance de la contre-offensive. Il est cultivé. Il a, du temps de l’URSS finissante, lu et aimé Tolstoï, Dostoïevski, Tourgueniev. Il ne les lira plus. Ce sont pour lui, désormais, des maîtres de la mort. A Sloviansk, dans la boue d’une casemate de fortune, j’entendais les mots de Celan et de Jankélévitch sur la langue allemande après 1945…

Et les civils ?

Heureux bien sûr. Mais brisés. Et encore incrédules. Kharkiv est libre. Kramatorsk est sécurisée. Mais ce sont des villes mortes. La vie, la vraie, n’y redeviendra pas normale tout de suite.

Que voyez-vous dans ces villes reprises ?

Des scènes de joie. Des familles qui, timidement, reviennent. Des bouches qui s’ouvrent et témoignent de l’ampleur des crimes de guerre commis, pendant ces mois d’horreur, par Poutine et les siens. Mais, en même temps, je vous le répète, quelque chose d’encore apeuré, de pétrifié. D’autant que, si les Russes se sont débandés, ils sont encore capables de taper à l’artillerie. Et fort. L’avant-dernière nuit par exemple. Nous dormions à Pavlograd, ville minière, en principe loin du front. Les missiles sont tombés, tirés depuis la Mer Noire. La ville a vécu une nuit de terreur.

Pensez-vous que cela puisse mettre fin au conflit ?

Je répète la même chose depuis le premier jour. Il n’y a qu’une solution politique : la victoire militaire de l’Ukraine. C’est ce qui arrivera. Avec, par voie de conséquence, la capitulation militaire de Poutine et un renversement politique à la tête de la Russie. Il ne peut en aller autrement.


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