« J’ai une soif diabolique de jouissance, de gloire et de puissance », écrivait Charles Baudelaire à sa mère. Ce n’était encore qu’un jeune poète plein d’avenir et d’ambition. En cela, il ressemblait aux créateurs de son âge si désireux d’atteindre en droite ligne la célébrité.

Bernard-Henri Lévy, qui a choisi de raconter Les Derniers jours de Charles Baudelaire, sujet de son deuxième roman après Le Diable en tête, prix Médicis 1984, dont le héros Benjamin C., avait des initiales identiques mais inversées par rapport à celles de l’auteur des Fleurs du Mal, appartient à cette race d’intellectuels visant les sommets.

Du moins lorsque La Barbarie à visage humain, paru en 1977, va le propulser comme chef de file des nouveaux philosophes et lorsque les médias traceront le portrait romantique d’un normalien agrégé de philosophie déclarant avec fracas : « Je suis l’enfant naturel d’un couple diabolique, le fascisme et le stalinisme ». Dans ce manifeste lyrique et passionné, Bernard-Henri Lévy annonçait déjà Baudelaire sans jamais le citer, mais en déclarant que « l’Art n’est que la digue, millénairement dressée, contre le vide de la mort, le chaos de l’informe, le sablier de l’horreur. Car seuls le poète, le peintre, le musicien savent nommer le mal et pêcher ses perles sanglantes ».

En reprenant une méthode de construction utilisée pour Le Diable en tête, où le romancier se met tour à tour dans la peau de ses personnages, il nous donne cette fois-ci une étonnante fresque de la vie de Baudelaire en faisant intervenir aussi bien sa logeuse de Bruxelles, que son éditeur Poulet-Malassis, sa maîtresse « La Vénus noire » Jeanne Duval, le photographe Charles Neyt etc. Comme une série de témoins à la barre d’un tribunal, c’est un défilé de souvenirs confrontés à ceux du poète lui-même sans que le narrateur le fasse intervenir à la première personne.

Petit à petit, s’estompent les brumes et les brouillards d’une existence pleine d’humiliations et de drames, pour laisser paraître l’étoile d’un génie maudit, ruminant sa vengeance contre le destin pervers.

« C’est le plus déguisé de mes livres en même temps celui où je me suis le plus investi sous des masques », dit Bernard-Henri Lévy dont le nom se murmure comme le favori du prochain Prix Goncourt. S’il l’obtenait, ce serait la consécration d’un formidable travail de quatre années qui a fait d’une figure historique un personnage fictif en train de vivre les derniers jours énigmatiques de Baudelaire.


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