Alain DUTASTA : Comédie, c’est une autocritique, le besoin de dresser un bilan à mi-vie, ou le désir d’en finir avec cette marionnette qui est le double de vous-même ?

Bernard-Henri LÉVY : C’est d’abord le désir de dire la vérité, d’aller au plus près de ma sincérité, et de tenter, comme dirait Malraux, de réduire la part en moi de la comédie. J’éprouve le passage du Cap Horn de la maturité, ce moment où on entre dans ce que j’appelle le reste de la vie. C’est une drôle de notion, celle de la période où on a lu les livres qui vous marquent a jamais, où on a aimé les femmes qui ont compté le plus pour vous et rencontré celle qui devient la femme de sa vie, où on a réuni les amis qui marquent votre existence et avec lesquels on sait qu’on ira probablement jusqu’au bout. Une période bizarre, passionnante, plus sereine…

Le déclic semble avoir été ce que vous appelez le « bide bang », c’est-à-dire l’échec de votre film, Le Jour et la nuit

Vous avez raison de dire le déclic, c’est le mot juste, mais ce n’est pas le ressort. J’aurais écrit le même livre, à un chapitre près, s’il n’y avait pas eu ce film. C’est un livre où je raconte ma vie, ou je parle des femmes que j’ai aimées, des livres qui m’ont influencé, des gens qui m’ont fait devenir celui que je suis, où je paie mes dettes : il y en a qui écrivent « Ce que je crois », moi c’est « Ce que je dois » ! Et tout cela n’a rien à voir avec un film raté, échoué. Ce film a représenté, c’est vrai, les moments les plus heureux de ma vie. Des instants de grand bonheur, et de grande ambition… Sentiments complètement mégalomanes et puérils que d’être le roi du monde ! J’ai éprouvé une grande tristesse au moment de l’échec, mais quand on se plante à ce point-là, on ne peut pas dire que c’est la faute aux autres.

Auparavant, il y avait eu Bosna !, un film grave et courageux. Pourquoi, selon vous, avait-on alors encore douté de la sincérité de votre engagement ?

Bien sûr, il y a un acharnement, mais il y a aussi, je crois, une merveilleuse adhésion qui m’émeut et me soutient, celle de mes lecteurs. J’ai un public fidèle de gens qui forment comme une petite garde rapprochée, et qui font rempart lorsque les attaques deviennent très violentes, que les injustices deviennent flagrantes… Il y a des milliers de gens qui aiment ce que j’écris et qui me le prouvent en me l’écrivant : je reçois un courrier magnifique, auquel je réponds toujours, je m’en suis fait une règle. Un écrivain, c’est quelqu’un qui veut être aimé et qui ne s’y prend pas très bien…

Dans ce qui est une longue confession, vous avouez « en avoir trop fait ». Que regrettez-vous exactement ?

Je ne regrette rien, je suis fier et je ne suis pas un homme de ressentiment. Je constate simplement que, lorsque j’étais plus jeune, j’avais une espèce d’ivresse et de griserie du succès. Trop de présence dans les médias, c’est cela le trop… Pourquoi ? Parce que c’est amusant, tout bêtement. Pour quelqu’un comme moi qui aime la vie, qui en aime toutes les facettes, qui suis un joueur, cela en faisait partie. Maintenant, cela m’amuse moins. Je prenais ça comme un jeu et comme une joie. Je ne regrette pas les combats menés, les livres écrits, les milliers de lecteurs auxquels j’ai répondu… Je suis assez content de ce que j’ai fait en Bosnie, moi et d’autres. On a fait du bon travail, on a été de bons ouvriers. On a contribué à arrêter le carnage et faire la paix, mais c’est une mauvaise paix. Bien sûr, il y a toujours un aspect Don Quichotte, mais cela n’empêche pas qu’il faille mener ces combats, il faut faire son devoir, être en règle avec sa conscience, et pour le reste il faut espérer.

Diriez-vous qu’il vous est arrivé d’être naïf sur vous-même, ou bien pensez-vous avoir été victime de cette société du spectacle que vous dénoncez, mais dont vous avez joué aussi ?

Les gens me prennent pour un roué… Je suis surtout un naïf. Cette société du spectacle, je ne la dénonce pas, je la décris, j’en ai été le bénéficiaire et la victime, j’ai joué avec elle et je m’y suis brûlé un peu, mais pas trop. J’ai pris conscience du fait qu’il fallait faire très attention, car les médias peuvent vous dévorer. C’est la littérature qui compte, ce sont les livres, les lecteurs, c’est ce qui reste de meilleur.

Le personnage de Romain Gary vous fascine, et il semble que vous avez été tente de naviguer, comme lui, sous pavillon de complaisance, autrement dit en vous inventant un double…

J’ai eu plus que la tentation, j’ai commencé à écrire un livre que je n’avais pas signé, j’ai mis en place toute la logistique du pseudonyme de l’auteur masqué, et puis je me suis arrêté. Parce que j’avais l’impression de remettre mes pas dans une trace déjà frayée par Gary, parce qu’il y a de la mort qui circule autour de tout cela, et parce que c’était effectivement continuer la comédie. J’ai préféré réécrire à visage découvert. Je ferai de la littérature toute ma vie… « Bon qu’à ça », comme disait Beckett.

Vous dites que vous êtes vous-même votre propre ennemi, n’est-ce pas, une nouvelle fois, donner des arguments à ceux qui vous traitent de mégalo ?

Oui, mais quitte à ce que mes ennemis aient des arguments, j’aime autant que ce soit les miens que les leurs, car les leurs sont nuls ! J’en ai marre de la critique de la chemise blanche, des propos gâteux sur l’excès de médiatisation, etc. Je trouve ce procès très pauvre. Puisque je suis mon meilleur ennemi, autant fournir l’argumentaire à mes adversaires.

Ce devoir de lucidité que vous vous êtes donné en écrivant ce livre, vous en espérez quoi exactement ?

Par rapport à moi-même, j’en espère ce qu’il m’a déjà procuré, c’est-à-dire une très grande sérénité. Par rapport à mes lecteurs, qu’ils sachent qui je suis vraiment, qu’ils me voient plus près de moi-même. Je leur dis toute la vérité que je peux dire…. C’est une sorte d’heure de vérité ! Il y a des pages qui m’ont coûté à écrire, il y a des aveux douloureux, il y a des choses que j’aurais aimé ne pas dire, mais j’étais à un moment de ma vie où il fallait que je dise tout cela. Ce n’est pas du masochisme, qui serait le plaisir de dire du mal de soi alors que moi j’en ai éprouvé de la douleur. Non, je crois tout simplement qu’il fallait en passer par cet examen de soi.


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