Paris Match : La présentation du film au 78e Festival de Cannes était très émouvante. C’est important pour vous de montrer le film, ici ?

Bernard-Henri Lévy : Capital. Cannes, c’est le plus gros festival du monde. C’est une chambre d’écho planétaire. Pour mes camarades ukrainiens venus spécialement de Kiev et, pour deux d’entre eux, de villes bombardées, c’était un moment de grande émotion. J’étais ému avec eux.

Notre guerre, c’est le titre de votre film. C’est extrêmement important de porter le message que les Ukrainiens se battent aussi pour l’Europe, pour la France, pour la liberté.

C’est ce que je me tue à dire depuis 2014, depuis Maïdan. Ce n’est pas la guerre des Ukrainiens, c’est la nôtre. Entre la Russie et ses alliés, il y a ce mince rempart que constituent ces femmes et ces hommes tellement vaillants et en même temps tellement fragiles.

Vous dites de Volodymyr Zelensky qu’il a l’esprit churchillien, pour vous, c’est le Winston Churchill du XXIe siècle ?

Je l’ai écrit, je crois, pour la première fois le 26 février 2022, deux jours après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Le Crimée était déjà une invasion. J’avais écrit pour un portrait sur lui dans Le Journal du dimanche, où j’écrivais que c’était le Churchill du XXIᵉ siècle. Il incarne toutes ces valeurs-là, le courage, le sens du défi, l’insolence, la confiance absolue dans les ressources de son peuple, une imperméabilité au découragement.

Dans votre film, vous montrez bien comme la guerre a changé, de la guerre des tranchées aux drones les plus sophistiqués.

Oui, ce qui m’a le plus impressionné depuis le début du conflit, c’est cette évolution. Pour mon premier film sur cette guerre, en mars avril 2022, on était à Verdun, au chemin des Dames. Aujourd’hui, c’est une guerre de type nouveau, complètement différente de tout ce qu’on a connu, à bien des égards encore plus terribles, qui est cette guerre des drones.

Cette guerre des drones donne aussi un aspect très jeu vidéo, avec des jeunes enfermés en sous-sol qui regardent des écrans.

Pour un humaniste, c’est évidemment terrible. La guerre est toujours horrible, bien sûr, mais cette guerre à distance, par ordinateur interposé, c’est peut-être encore plus terrible.

Votre film est un journal de bord qui débute au début de l’invasion, en 2022. Ressentez-vous chez les Ukrainiens une sorte de fatalisme ?

Pas un fatalisme, non, plutôt une grande lucidité. Ils savent sur qui ils peuvent compter, sur qui ils peuvent moins compter et ils s’adaptent. Aujourd’hui, ils savent qu’ils doivent compter davantage sur la France que sur les États-Unis. Ils savent que le monde libre, c’est plus Macron que Trump, alors ils s’adaptent.

Dans le film, vous expliquez aussi que l’Ukraine est un test pour les empires. Que si l’Ukraine cède, d’autres empires en profiteront.

Je pense vraiment que Xi Jinping, que les ayatollahs iraniens, que Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, que les islamistes radicaux, ceux qui restent de Daesh ou d’Al Qaida, ont les yeux fixés sur le Donbass. Ils savent que si les Occident cèdent là, ils céderont partout. C’est une mise à l’épreuve de l’Occident, une mise à l’épreuve de notre capacité de résistance.

D’ailleurs, vous aviez filmé la résistance des Kurdes déjà pris en étau par des empires.

Absolument. Ce qui m’intéresse, ce qui me bouleverse, me mobilise, c’est quand je vois un peuple faible, victime mais vaillant résister. Vous avez raison, c’était le cas des Kurdes qui avaient affaire à la fois à la Turquie, à l’Iran et à la Syrie. Ils avaient trois ennemis. C’était le cas des Bosniaques à Sarajevo, qui faisaient face à la Serbie qui, à l’époque, était déjà alliée à la Russie. Et aujourd’hui, l’Ukraine. Tout se joue là-bas. La frontière de l’Europe, elle est dans le Donbass. Quand je vois d’ailleurs des gens chez nous, en France, à l’extrême droite, à l’extrême gauche, et parfois tout simplement à droite et à gauche, qui disent : « mais on ne peut pas déplacer nos armes, on est en train de se mettre à nu militairement », je me dis : mais ils n’ont rien compris. C’est un déplacement de nos armes. On les met là où elles sont utiles. À Paris, ça ne sert à rien. Là où la sécurité de la France se joue, c’est en Ukraine.

D’ailleurs, à un moment, vous comptez les munitions des Ukrainiens face aux obus russes. C’est une séquence assez terrible, parce qu’on voit bien que le rapport de force est totalement inégal.

Un pour dix. Ça me glace les sangs.

Vous croyez à une paix possible et juste avec Donald Trump à la Maison Blanche ? Dans le film, vous expliquez qu’il ne faut pas faire la paix pour la paix.

Je crois à la paix, j’espère en la paix. Vous savez, j’ai vu cette guerre de trop près pour ne pas espérer toute mon âme, la paix. Mais la paix des lâches, ça ne marchera pas. De formation, je suis philosophe et historien. Je sais que face à un tyran, il ne faut rien céder. Parce que si on cède un peu en croyant qu’on aura la paix, on aura plus de guerres encore.


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